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LIVRE DEUXIÈME.

[qui constitue la Vie de la Raison] n’est pas semblable à l’acte du feu. L’acte de la Vie [propre à la Raison], même sans le sentiment, n’est pas un mouvement aveugle. Toutes les choses qui jouissent de la présence de la Raison et y participent, de quelque façon que ce soit, reçoivent aussitôt une disposition rationnelle, c’est-à-dire reçoivent une forme : car l’Acte qui constitue la Vie [de la Raison] peut donner des formes, et, pour lui, se mouvoir, c’est former des êtres. Son mouvement est donc plein d’art, comme celui d’un danseur. Un danseur, en effet, nous donne l’image de cette vie pleine d’art ; c’est l’art qui le meut, parce que l’art même est sa vie. Cela soit dit pour faire comprendre ce qu’est la vie, quelle qu’elle soit.

Procédant de l’Intelligence et de la Vie, qui possèdent à la fois la plénitude et l’unité, la Raison n’a point l’unité et la plénitude de l’Intelligence et de la Vie ; par conséquent, elle ne communique pas la totalité et l’universalité de son essence aux êtres auxquels elle se communique. Elle oppose donc les parties les unes aux autres et les crée défectueuses ; par là, elle constitue, elle engendre la guerre et la lutte. Ainsi, la Raison est l’unité universelle (εἶς πᾶς), parce qu’elle ne pouvait être l’unité absolue (ἕν) : car, si elle implique lutte parce qu’elle a des parties, elle implique aussi unité et harmonie ; elle ressemble à la raison d’un drame, dans lequel l’unité contient une foule de contraires (δράματος λὸγος εἶς, ἔχων ἐν αὐτῷ πολλὰς μάχας)[1]. Mais, dans un drame, l’harmonie de l’ensemble résulte de ce que les contraires sont coordonnés dans l’unité de l’action, tandis que, dans la Raison universelle, c’est de l’unité que naît la lutte des contraires. Aussi convient-il de comparer la Raison universelle à l’harmonie que forment des

  1. Pour les rapprochements qui sont à faire ici entre la doctrine des Stoïciens et celle de Plotin, Voy. les Éclaircissements sur ce livre, à la fin du volume. Voy. aussi Enn. II, liv. III, § 16-18.