Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
111
LIVRE CINQUIÈME.


dans le Banquet ? Quelle est, dis-je, la nature des démons ? Quelle est celle de l’Amour qui[1] est né de Penia (la Pauvreté) et de Poros (l’Abondance), fils de Métis (la Prudence), à la naissance de Vénus[2] ?

Croire que c’est le Monde que Platon appelle l’Amour[3], au lieu d’admettre que l’Amour fait partie du Monde et y est né, c’est professer une opinion erronée, comme on peut le démontrer par plusieurs preuves. En effet, Platon dit que le Monde est un dieu bienheureux et qu’il se suffit à lui-même ; or il n’accorde jamais ces caractères à l’amour, qu’il appelle un être toujours indigent. — Le Monde est composé d’un corps et d’une Âme, et l’Âme est Vénus : il en résulte que Vénus serait la partie dirigeante de l’Amour ; ou bien, si le Monde est pris pour l’Âme du Monde, comme l’homme se dit pour l’âme de l’homme, l’Amour serait Vénus elle-même. — Si l’Amour, qui est un démon, est le Monde, pourquoi les autres démons (qui ont évidemment la même essence) ne seraient-ils pas aussi le Monde ? Dans ce cas, le Monde serait composé de démons. Comment appliquer au Monde ce que Platon attribue à l’Amour, à savoir qu’il est le chef des beaux enfants ? — Enfin Platon dit que l’Amour n’a ni vêtement, ni chaussure, ni domicile. Comment appliquer au Monde ces qualifications sans absurdité ni ridicule ?

VI. Que faut-il donc dire de la nature et de la naissance de

  1. Nous lisons ὂς avec M. Kirchhoff au lieu de ὥς.
  2. À la naissance de Vénus, il y eut chez les dieux un festin où se trouvait, entre autres, Poros, fils de Métis. Après le repas, comme il y avait eu grande chère, Penia s’en vint demander quelque chose et se tint auprès de la porte. En ce-moment, Poros, enivré de nectar (car il n’y avait pas encore de vin), se retira dans le jardin de Jupiter, et là, ayant la tête pesante, il s’endormit. Alors Penia, s’avisant qu’elle ferait bien dans sa détresse d’avoir un enfant de Poros, s’alla coucher auprès de lui et devint mère de l’Amour. » (Platon, Banquet, p. 203 ; t. VI, p. 299, tr. fr.)
  3. L’opinion que Plotin combat ici a été avancée par Plutarque (Sur Isis et Osiris, p. 372, 374).