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TROISIÈME ENNÉADE.


chocs lourds et violents par lesquels des corps agissent les uns sur les autres sont suivis de destruction. Quand une chose même faible vient tomber sur une chose faible, elle est relativement puissante ; c’est le non-être qui rencontre le non-être.

Voilà les objections que nous avions à faire à ceux qui regardent tous les êtres comme corporels, qui ne veulent juger de leur existence que par les impressions qu’ils en reçoivent, et qui essaient de fonder la certitude de la vérité sur les images de la sensation. Ils ressemblent à des hommes endormis qui prennent pour des réalités les visions qu’ils ont dans leurs rêves. La sensation est le rêve de l’âme[1] : tant que l’âme est dans le corps, elle rêve ; le véritable réveil de l’âme consiste à se séparer véritablement du corps, et non à se lever avec lui. Se lever avec le corps, c’est passer du sommeil à une autre espèce de sommeil, d’un lit à un autre ; s’éveiller véritablement, c’est se séparer complètement des corps. Ceux-ci, ayant une nature contraire à celle de l’âme, ont par suite une nature contraire à celle de l’essence. On en a pour preuves leur génération, leur flux, leur destruction, toutes choses contraires à la nature de l’être.

VII. Revenons à la matière considérée comme substance, puis à ce que l’on dit exister en elle. Par cet examen, nous verrons qu’elle est le non-être et qu’elle est impassible.

La matière est incorporelle parce que le corps n’existe qu’après elle, qu’il est un composé dont elle constitue un élément. Elle est appelée incorporelle parce que l’être et la matière sont deux choses également distinctes du corps[2].

  1. « La sensation se produit quand l’intelligence sommeille, et s’évanouit quand l’intelligence s’éveille. » (Philon, Allégories de la Loi, I, p. 200.)
  2. Sur les divers sens du mot incorporel, Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § V ; t. I, p. LIX. En outre, Porphyre a reproduit avec de légers changements ce § 7 de Plotin dans le § X du même écrit, p. LX. La même conception de la