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TROISIÈME ENNÉADE.


prête à recevoir ce qui doit être. Comment se fait-il donc qu’une chose, en entrant dans la matière, n’empêche pas d’y pénétrer les autres choses, qui ne peuvent cependant coexister ? C’est que la matière n’est pas un premier principe. Sinon, ce serait la forme même de l’univers. Or, une telle forme serait toutes choses à la fois et chaque chose en particulier. En effet, la matière de l’être vivant est divisée comme les parties mêmes de l’être vivant ; sans cela, il ne subsisterait rien que la raison [l’essence intelligible].

XIX. Les choses, en entrant dans la matière qui joue à leur égard le rôle de mère, ne lui font éprouver ni bien ni mal. Les coups qu’elles portent ne sont pas ressentis par la matière ; elles ne les dirigent que les unes contre les autres, parce que les puissances agissent sur leurs contraires et non sur les sujets, à moins qu’on ne considère les sujets comme unis aux choses qu’ils contiennent. Le chaud fait disparaître le froid, et le noir, le blanc[1] ; ou, s’ils se mêlent, ils produisent par leur mixtion une qualité nouvelle[2]. Ce qui pâtit, ce sont donc les choses qui se mêlent, et pâtir pour elles, c’est cesser d’être ce qu’elles étaient. Dans les êtres animés, c’est le corps qui pâtit par l’altération des qualités et des forces qu’il possède. Quand les qualités constitutives (συστάσεις) de ces êtres sont détruites, ou qu’elles se combinent, ou qu’elles éprouvent un changement contraire à leur nature, les passions se rapportent au corps et les perceptions se rapportent à l’âme. Celle-ci connaît en effet toutes les passions qui produisent une vive impression. Quant à la matière, elle demeure ce qu’elle est : elle ne saurait pâtir quand elle cesse de contenir le froid ou le chaud, puisqu’aucune de ces deux qualités ne lui est ni propre ni étrangère. Le nom qui la caractérise le mieux est donc celui de réceptacle et de nourrice[3]. Mais, en quel sens est-elle aussi

  1. Voy. ci-dessus, § 8, p. 145.
  2. Voy. t. I, p. 244, note 1.
  3. Voy. le passage de Platon cité dans le tome I, p. 206, note 2.