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LIVRE HUITIÈME.


en gardant le silence comme je le garde : car je n’ai pas l’habitude de parler. Que devais-tu comprendre ? Le voici. D’abord, ce qui est produit est l’œuvre de ma spéculation silencieuse[1], est une contemplation produite par ma nature : car, étant née moi-même de la contemplation, j’ai une nature contemplative (φύσις φιλοθεάμων). Ensuite, ce qui contemple en moi produit une œuvre de contemplation, comme les géomètres décrivent des figures en contemplant : mais, ce n’est pas en décrivant des figures, c’est en contemplant que je laisse tomber de mon sein les lignes qui dessinent les formes des corps. Je conserve en moi la disposition de ma mère [l’Âme universelle] et celle des principes qui m’ont engendrée [les raisons formelles][2]. Ceux-ci, en effet, sont nés de la contemplation ; j’ai été engendrée de la même manière. Ces principes m’ont donné naissance sans agir, par cela seul qu’ils sont des raisons plus puissantes et qu’ils se contemplent eux-mêmes. »

Que signifient ces paroles ? que la Nature est une Âme engendrée par une Âme supérieure qui possède une vie plus puissante, qu’elle renferme sa contemplation silencieusement en elle-même, sans incliner ni vers ce qui est supérieur, ni vers ce qui est inférieur. Demeurant dans son essence, c’est-à-dire dans son repos et dans la conscience qu’elle a d’elle-même, elle a, par cette connaissance et par cette conscience qu’elle a d’elle-même, connu autant que cela lui était possible ce qui est au-dessous d’elle, et, sans chercher davantage, elle a produit un objet de contemplation agréable et brillant. Si l’on veut attribuer à la Nature une espèce de connaissance ou de sensation, celles-ci ne ressembleront à la connaissance et à la sensation véritables que comme ressemblent à celles d’un homme

  1. Nous lisons avec M. Kirchhoff σιωπησάσης au lieu de σιώπησις.
  2. Voy. Enn. II, liv. III, § 17 ; t. I, 191.