Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
219
LIVRE HUITIÈME.


n’est pas présent de la même manière à toutes les parties de l’âme[1]. C’est pourquoi Platon dit que le conducteur de l’âme fait part à ses coursiers de ce qu’il a vu lui-même[2]. Si ceux-ci reçoivent quelque chose de lui, c’est évidemment parce qu’ils désirent posséder ce qu’ils ont vu : car ils n’ont pas reçu l’intelligible tout entier. S’ils agissent par suite d’un désir, c’est en vue de ce qu’ils désirent qu’ils agissent, c’est-à-dire en vue de la contemplation et de son objet.

V. Quand on agit, c’est pour contempler et pour posséder l’objet contemplé. La pratique a donc pour fin la contemplation. Ce qu’elle ne peut atteindre directement, elle tâche de l’obtenir par une voie détournée. Il en est de même quand on atteint l’objet de ses vœux : ce qu’on souhaite, ce n’est pas de posséder l’objet de ses vœux sans le connaître, c’est au contraire de le connaître à fond, de le voir présent en son âme et de pouvoir l’y contempler. En effet, c’est toujours en vue du bien qu’on agit : on veut l’avoir intérieurement, se l’approprier et trouver dans sa possession le résultat de son action ; or, comme on ne peut posséder le bien que par l’âme, l’action nous ramène encore ici à la contemplation. Puisque l’âme est une raison, ce qu’elle est capable de posséder ne saurait être qu’une raison silencieuse, d’autant plus silencieuse qu’elle est plus raison : car la raison parfaite ne cherche plus rien : elle se repose dans l’évidence de ce dont elle est remplie ; plus l’évidence est complète, plus la contemplation est calme, plus elle ramène l’âme à l’unité. En effet, dans l’acte de la connaissance (et nous parlons ici sérieusement), il y a identité entre le sujet connaissant et l’objet connu. S’ils faisaient deux choses, ils seraient différents, étrangers l’un à l’autre, sans véritable liaison, comme les raisons [sont étrangères à l’âme] quand

  1. Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § XII, t. I, p. LVII.
  2. Voy. Platon, Phèdre, p. 272 ; t. VI, p. 58 de la traduction de M. Cousin.