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SOMMAIRES.



LIVRE CINQUIÈME.
DE L’AMOUR.[1]

(I) L’amour considéré comme passion de l’âme humaine est le désir de s’unir à un bel objet. On souhaite tantôt posséder la beauté pour elle-même, tantôt y joindre le plaisir de perpétuer l’espèce en produisant dans le monde sensible une image temporaire des essences éternelles du monde intelligible.

(II) L’amour considéré comme dieu est l’hypostase (l’acte substantiel) de Vénus Uranie, c’est-à-dire de l’Âme céleste. Il est et l’œil par lequel elle contemple Cronos (qui représente l’Intelligence divine), et la vision même qui en naît.

(III-IV) L’amour considéré comme démon est fils de Vénus populaire, c’est-à-dire de l’Âme intérieure, engagée dans le monde ; il préside avec elle aux mariages. Il est le désir de l’intelligible et il élève avec lui les âmes auxquelles il est uni. En effet, comme l’Âme universelle, chaque âme particulière renferme en elle un amour inhérent à son essence : cet amour est un démon, si l’âme à laquelle il appartient est mêlée à la matière ; c’est un dieu, si l’âme à laquelle il appartient est pure.

(V) On ne peut admettre que l’Amour soit le monde [comme l’avance Plutarque de Chéronée] : les attributs que Platon lui prête dans le Banquet n’auraient aucun sens raisonnable dans cette hypothèse.

(VI) Les amours et les démons ont une origine commune. Ils occupent un rang intermédiaire entre les dieux et les hommes. Cependant, parmi les démons, ceux-là seuls sont des amours qui doivent leur existence au désir que l’âme humaine a du Bien. Les autres démons sont engendrés par les diverses puissances de l’Âme universelle pour l’utilité du Tout. Ils ont des corps aériens ou ignés.

(VII-IX) Reste à expliquer le mythe de la naissance de l’amour tel qu’il se trouve dans le Banquet de Platon. — L’Amour est, ainsi que les autres démons, mélangé d’indétermination et de forme : il participe à la fois à l’indigence (Penia) et à l’abondance (Poros), parce qu’il désire et qu’il fait acquérir le bien qu’il est destiné à procurer ; c’est en ce sens qu’il est fils de Penia et de Poros. Vénus est l’Âme, Jupiter, l’Intelligence. Poros représente les raisons ou idées qui passent de l’Intelligence dans l’Âme, et le jardin de Jupiter, la splendeur des idées.

Les mythes divisent sous le rapport du temps ce qu’ils racontent ; ils présentent comme séparées les unes des autres des choses qui existent simultanément, mais qui sont éloignées par leur rang ou par leurs puissances[2].

  1. Aux dissertations que nous indiquons dans les Éclaircissements (p. 537-541), il faut ajouter celle de Fr. G. Starke : Plotini de Amore sententia, Neu-Ruppin, 1854 ; in-4°, 10 pages. C’est une simple exposition de la doctrine que Plotin professe sur ce sujet.
  2. Voy. Olympiodore, Comm. sur le Gorgias, fol. 72-74 (dans M. Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 322).