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QUATRIÈME ENNÉADE.


aucune impulsion (ὠθισμὸς), ni aucune empreinte semblable à celle d’un cachet sur la cire, et l’opération même par laquelle elle perçoit les choses sensibles est une espèce de pensée (ou d’intellection, νόησις)[1]. En effet, comment pourrait-on dire qu’il y a impression dans l’acte de la pensée ? Comment la pensée aurait-elle besoin du corps ou d’une qualité corporelle ? Il est d’ailleurs nécessaire que l’âme se rappelle ses mouvements[2], par exemple, ses désirs qui n’ont pas été satisfaits et dont le corps n’a point atteint l’objet ; or que pourrait nous dire le corps d’un objet qu’il n’a pas atteint[3] ? [Quant aux pensées], comment l’âme se rappellerait-elle conjointement avec le corps les choses que le corps, par sa nature même, ne peut absolument pas connaître ?

Sans doute il faut admettre qu’il y a des affections qui passent du corps dans l’âme[4] ; mais il est aussi des affections qui appartiennent exclusivement à l’âme, parce que l’âme

    siste dans une impulsion extérieure, « impulsio oblata extrinsecus, » appelée représentation, φαντασία (Cicéron, Académiques, I, 11) ; selon Cléanthe, les objets extérieurs impriment sur nos organes une image semblable à l’empreinte d’un cachet sur la cire, τύπωσις (Sextus, Adversus mathematicos, VII, p. 288) ; mais, selon Chrysippe, l’impression produite dans l’âme n’est qu’une simple modification, ἀλλοίωσις ; (Diogène Laërce, VII, § 50). Ces philosophes n’ont fait que reproduire, en les prenant dans leur sens propre, des expressions employées avant eux par Platon et par Aristote dans un sens figuré. Nous avons déjà cité (t. I, p. 334 et note 1) des passages dans lesquels Platon et Aristote comparent l’âme à une cire molle qui reçoit l’empreinte d’un cachet, comparaison qui a donné naissance à l’idée de la table rase ; ajoutons qu’Aristote dit également que la sensation est une modification, ἀλλοίωσις (Physique, VII, 4).

  1. Voy. t. I, p. 43, 333.
  2. « Affectiones quoque mel animi eadem memoria continet, non illo modo quo eas habet ipse animus quum patitur eas, sed alio multum diverso, sicut sese habet vis memoriæ, etc. » (S. Augustin, Confessiones, X, 13.)
  3. Voy. Platon, Philèbe, t. II, p. 363 de la trad. de M. Cousin.
  4. Voy. le passage du Philèbe cité ci-dessus, p. 316, note 1.