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QUATRIÈME ENNÉADE.


[Pour résoudre toutes ces difficultés] nous dirons que rien n’empêche d’admettre que l’acte de la sensation (αἴσθημα) produit dans la mémoire une image (φάντασμα), et que l’imagination, qui est différente [de la sensation], possède le pouvoir de conserver et de se rappeler ces images. C’est en effet à l’imagination que vient aboutir la sensation[1], et, quand la sensation n’est plus, l’imagination en garde la représentation (ὅραμα)[2]. Si donc cette puissance conserve l’image de l’objet absent, elle constitue la mémoire[3] ; selon que l’image demeure plus ou moins de temps, la mémoire est ou n’est pas fidèle, nos souvenirs durent ou s’effacent. C’est donc à l’imagination qu’appartient la mémoire des choses sensibles. Si les divers esprits possèdent cette faculté à des degrés inégaux, cette différence tient soit à la diversité des forces, soit à

  1. Voy., sur l’imagination sensible, les Éclaircissements du tome I, p. 332-336, 338-339.
  2. Plotin reproduit ici la théorie d’Aristote, sans faire cependant concourir comme lui le corps à l’acte du souvenir : « Ici on pourrait se demander comment il se fait que, la modification de l’esprit étant seule présente, et l’objet même étant absent, on se rappelle ce qui n’est pas présent. Évidemment on doit croire que l’impression qui se produit par suite de la sensation dans l’âme, et dans cette partie du corps qui perçoit la sensation, est analogue à une espèce de peinture, et que la perception de cette impression constitue précisément ce qu’on appelle la mémoire… Voilà donc ce qu’est la mémoire et ce que c’est que se souvenir. Répétons-le : c’est la présence dans l’esprit de l’image, comme copie de l’objet dont elle est l’image ; et la partie de l’âme à laquelle elle appartient en nous, c’est le principe même de la sensibilité [le sens commun], par lequel nous percevons la notion de temps. » (De la Mémoire, 1 ; trad. de M. Barthélemy-Saint-Hilaire, p. 115, 120.) Voy. aussi Porphyre, Des Facultés de l’âme, t. I, p. LXVII, note 3.
  3. Voy. sur ce point le beau morceau de saint Augustin : « Venio in campos et lata prætoria memoriæ, ubi sunt thesauri innumerabilium imaginum de cujuscemodi rebus sensis invectarum, etc. » (Confessiones, X, 8.)