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LIVRE SIXIÈME.


propre à pâtir. D’ailleurs, dans les sensations, ce n’est pas l’organe débile et impuissant par lui-même qui perçoit ; ce n’est pas l’œil qui voit, par exemple, c’est la puissance active de l’âme. C’est pour cela que les vieillards ont à la fois des sensations et des souvenirs plus faibles. La sensation et la mémoire impliquent donc quelque énergie.

Puisque la sensation n’est pas l’impression d’une image dans l’âme, comment la mémoire pourrait-elle être le dépôt de choses qu’elle n’a pas reçues ? — Mais, si elle est une faculté (δύναμις), une disposition (παρασϰευή[1]), pourquoi ne nous rappelons-nous pas sur-le-champ ce que nous avons appris et nous faut-il quelque temps pour nous en souvenir ? — C’est que nous avons besoin de nous rendre maître de notre faculté et de l’appliquer à son objet. Il en est de même pour nos autres facultés : il faut que nous les préparions à remplir leurs fonctions ; tantôt elles agissent sur-le-champ, tantôt elles ont besoin de recueillir leurs forces. Souvent les mêmes hommes n’ont pas à la fois de la mémoire et de la pénétration, parce que ce n’est pas la même faculté qui est en jeu dans ces deux cas. Ainsi, l’athlète n’est pas le même que le coureur. Des dispositions différentes dominent dans chacun. D’ailleurs rien n’empêche que l’homme qui a l’âme forte et tenace ne relise en quelque sorte ce que retient sa mémoire, et que celui qui laisse échapper beaucoup de choses ne soit disposé par sa faiblesse à éprouver et à conserver des affections passives. D’ailleurs, la propriété qu’a l’âme de n’être pas étendue prouve qu’elle est une puissance.

En général, tous les faits qui se passent dans l’âme s’y produisent d’une manière fort différente de celle qu’imaginent les hommes qui ne les ont jamais examinés, et fort différente aussi de celle dont s’opèrent les phénomènes

  1. Sur le sens de ce mot, Voy. Porphyre, Traité des Facultés de l’âme, dans le tome I, p. XCI.