Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/545

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
495
LIVRE NEUVIÈME.


font encore qu’une âme. Il faut donc examiner en quoi consiste cette Âme qui est une[1].

Considérons d’abord si l’on a le droit d’affirmer que toutes les âmes n’en font qu’une dans le sens où l’on dit que l’âme de chaque individu est une. Il semble absurde de prétendre que mon âme et que la tienne n’en font qu’une en ce sens : car il faudrait alors que tu sentisses quand je sens, que tu fusses vertueux quand je le suis, que tu eusses les mêmes désirs que moi, que nos âmes éprouvassent non-seulement les mêmes sentiments l’une que l’autre, mais encore les mêmes sentiments que l’Âme universelle, en sorte que chaque sensation éprouvée par moi fût ressentie par l’univers entier. Si toutes les âmes n’en font qu’une de cette manière, pourquoi une âme est-elle raisonnable et l’autre irraisonnable, pourquoi celle-ci

  1. Plotin a démontré ci-dessus dans le livre II, § 1-8, que les âmes particulières ne forment pas une unité numérique, qu’elles ne sont pas les parties entre lesquelles se divise et se distribue l’Âme universelle. Il a pour but d’expliquer ici comment les âmes particulières sont unies avec l’Âme universelle dont elles procèdent, et comment elles forment avec cette Âme une unité générique sans être absorbées par elle. Porphyre a fort bien résumé la pensée de Plotin dans les lignes suivantes, dont une partie est empruntée à l’Enn. VI, liv. V, § 4 : « Il ne faut pas croire que la pluralité des âmes vienne de la pluralité des corps. Les âmes particulières subsistent aussi bien que l’Âme universelle indépendamment des corps, sans que l’unité de l’Âme universelle absorbe la multiplicité des âmes particulières, ni que la multiplicité de celles-ci morcelle l’unité de celle-là. Les âmes particulières sont distinctes sans être séparées les unes des autres et sans diviser l’Âme universelle en une foule de parties ; elles sont unies les unes aux autres sans se confondre et sans faire de l’Âme universelle un simple total : car elles ne sont pas séparées entre elles par des limites et elles ne se confondent pas les unes avec les autres ; elles sont distinctes les unes des autres comme les sciences diverses dans une seule âme. » (Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § XXXIX ; t. I, p. LXXX.) Voy. encore ci-après le traité de Jamblique, p. 642.