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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.


saint Augustin dit comme Plotin que, pour se représenter la matière, il faut faire abstraction des qualités. Cette idée est exprimée plus nettement encore dans le morceau suivant, où l’on retrouve des expressions familières à notre auteur :

« Il ne faut pas chercher une cause efficiente à cette défaillance [de la volonté], pas plus qu’il ne faut chercher à voir la nuit ou à entendre le silence. Ces deux choses nous sont connues pourtant, et ne nous sont connues qu’à l’aide des yeux et des oreilles ; mais ce n’est point par la forme, c’est par la privation de la forme[1]. Ainsi, que personne ne me demande ce que je sais ne pas savoir, si ce n’est pour apprendre de moi qu’on ne le saurait savoir. Les choses qui ne se connaissent que par leur privation ne se connaissent, pour ainsi dire, qu’en ne les connaissant pas. En effet, lorsque la vue se promène sur les objets sensibles, elle ne voit les ténèbres que quand elle commence à ne rien voir. Les oreilles mêmes n’entendent le silence que quand elles n’entendent rien. » (Cité de Dieu, XII, 7 ; t. II, p. 344 de la trad. de M. Saisset.)

Enfin, nous avons montré que, selon saint Augustin, comme selon Plotin, l’espace a été créé avec la matière (p. 161, note), de même que le temps l’a été avec le monde (p. 201, note).


  1. Nous modifions ici la traduction de M. Saisset. Il y a dans le texte : non sane in specie, sed in speciei privatione. M. Saisset rend le mot species par des espèces, et suppose que par ce mot saint Augustin entend un intermédiaire entre l’esprit et l’objet, intermédiaire semblable aux espèces sensibles de la Scolastique. Nous ne saurions partager cette opinion. Par species, saint Augustin entend ici la forme ou essence. En effet, dans un morceau que nous avons cité ci-dessus (p. 352, note), ce Père dit expressément qu’il emploie comme synonymes les termes ideœ, formœ, species, rationes, et que ce dernier est la traduction du mot grec λόγοι ; en outre, comme nous l’avons montré (p. 129, note 2), il explique la sensation de la même manière que Plotin, qui a précisément réfuté la théorie des images intermédiaires entre l’esprit et l’objet ; enfin, l’expression speciei privatio n’est que la traduction littérale du mot grec ἀμορφία, employé par Plotin pour rendre la même idée : « Mais comment connaissons-nous ce qui est absolument sans forme ? Nous faisons abstraction de toute espèce de forme, et nous appelons matière ce qui reste. Nous laissons pénétrer ainsi en nous une sorte de manque de forme (ἀμορφία), par cela seul que nous faisons abstraction de toute forme pour nous représenter la matière. » (Enn. I, liv. VIII, § 9 ; t. I, p. 132.)