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LIVRE DEUXIÈME.

qualité d’êtres raisonnables et participent-ils toujours en quelque degré à la sagesse, à l’intelligence, à l’art, à la justice qui règle leurs rapports mutuels. Même quand on fait tort à un autre, on croit encore qu’on agit justement à son égard et qu’on le traite selon son mérite[1]. L’homme est du reste une belle créature, aussi belle qu’il pouvait l’être, et, par le rôle qu’il joue dans l’univers, il est supérieur à tous les animaux qui vivent ici-bas.

Nul esprit sensé ne saurait se plaindre de l’existence des animaux inférieurs à l’homme, s’ils contribuent d’ailleurs à embellir l’univers. Ne serait-il pas ridicule de se plaindre de ce que quelqu’un d’entre eux mord les hommes, comme si ceux-ci devaient vivre dans une complète sécurité[2] ? L’existence de ces animaux est nécessaire : elle nous procure des avantages, soit évidents, soit inconnus encore, mais que le temps fait découvrir. Ainsi, il n’y a rien d’inutile dans les animaux, soit par rapport à eux, soit par rapport à l’homme[3]. Il est encore ridicule de se plaindre que beaucoup d’animaux soient sauvages, quand il y a des hommes même qui le sont ; si beaucoup d’animaux ne

    Quæ profecto superat eam, quam peccandi perpetua voluntas tenet ; inter quam et illam priorem permanente in voluntate justitiæ, hæc medietatem quamdam demonstrat, quæ pœnitendi humilitate altitudinem suam recipit. » (S. Augustin, De Libero arbitrio, III, 5.)

  1. « Si les hommes font le mal, évidemment c’est malgré eux et par ignorance : car c’est malgré elle qu’une âme se prive soit de la vérité, soit de la vertu, laquelle traite chacun selon son mérite. C’est pour cela qu’ils souffrent impatiemment qu’on les appelle injustes, ingrats, avares ; en un mot gens malfaisants pour le prochain. » (Marc-Aurèle, Pensées, XI, § 18, trad. de M. Pierron.)
  2. Voy. le passage de S. Augustin que nous avons cité dans le tome I, p. 278, note 2, et le passage de Maïmonide qui se trouve dans la Théodicée de Leibnitz (III, § 262).
  3. Voy. t. I, p. 192. Voy. aussi, dans le De natura Deorum (III, 63-64), le morceau où Cicéron fait expliquer au stoïcien Balbus le rôle des plantes et des animaux dans la création.