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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/134

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LIVRE CINQUIÈME.


séder la vérité même, elle ne saisira que des choses mensongères et n’atteindra point les réalités. Dans ce cas, ou elle reconnaîtra qu’elle ne saisit que des choses mensongères, et elle sera obligée d’avouer qu’elle n’a point la vérité en partage ; ou elle l’ignorera, elle croira posséder la vérité quand elle en est privée, et, se trompant ainsi doublement, elle sera par là même encore plus éloignée de la vérité. C’est pour cette raison, je crois, que la sensation ne peut atteindre la vérité : elle est réduite à l’opinion (δόξα (doxa)), parce qu’elle est une puissance réceptive (παραδεχομένη (paradechomenê)), comme l’exprime le mot δόξα (doxa) [dérivé de δέχεσθαι (dechesthai), recevoir], et parce qu’elle reçoit une chose étrangère : car l’objet dont elle reçoit ce qu’elle possède reste hors d’elle. Donc, chercher la vérité hors de l’intelligence, c’est réduire celle-ci à n’être ni la vérité, ni l’intelligence véritable ; c’est anéantir l’intelligence ; et la vérité qui doit l’habiter ne subsistera plus nulle part.

II. Ainsi, il ne faut pas regarder les intelligibles comme des choses extérieures à l’intelligence, ni comme des empreintes gravées en elle, ni refusera celle-ci la possession intime de la vérité ; sinon, on rend impossible la connaissance des intelligibles, on détruit leur réalité et celle de l’intelligence. Voulons-nous au contraire laisser subsister dans l’intelligence la connaissance et la vérité, sauver la réalité des intelligibles, rendre possible la connaissance de l’essence de chaque chose, au lieu de nous borner à la simple notion de ses qualités, notion qui ne nous donne que l’image et le vestige de l’objet, qui ne nous permet pas de la posséder, de nous unir à lui, de ne faire qu’un avec lui, alors nous devons attribuer à l’intelligence véritable la possession intime de toutes les essences. C’est à cette condition seulement que l’intelligence pourra connaître, et connaître véritablement, sans être exposée à oublier ni à chercher autour d’elle ; qu’elle sera le lieu où habitera la vérité, où subsisteront les essences ; qu’elle aura la vie et