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LIVRE PREMIER.


que la matière modifiée, comme les attitudes ne sont que le danseur modifié. Or, si les autres choses n’existent plus réellement, la matière n’est plus sujet ; elle n’est plus la matière des êtres, elle est seulement matière. Elle ne sera même plus matière, parce que ce qui est matière est la matière de quelque chose ; mais ce qui se rapporte à une autre chose est du même genre que cette chose, comme la moitié appartient au même genre que le double et n’est pas la substance du double. Comment donc le non-être se rapporte-t-il à l’être si ce n’est par accident ? Mais l’être absolu et la matière même se rapportent à l’être en qualité d’être. En effet, si ce qui doit être est simple puissance, par conséquent n’est pas essence, la matière ne saurait être essence[1].

Il résulte de là que les Stoïciens, qui reprochent à d’autres philosophes de faire des essences avec des non-essences, font eux-mêmes une non-essence avec une essence. En effet le monde, en tant que monde, n’est pas essence [dans le système des Stoïciens]. Certes, c’est avancer une chose déraisonnable que de soutenir que la matière, qui est sujet, est cependant essence, et que les corps ne sont pas plus essence que la matière ; mais il est plus déraisonnable encore de prétendre que le monde n’est pas essence par lui-même, mais seulement par une de ses parties [par la matière], que l’être animé ne doit pas son essence à l’âme, mais seulement à la matière, enfin que l’âme n’est qu’une modification de la matière, une chose postérieure. De qui donc la matière a-t-elle reçu l’animation ? D’où vient la substance de l’âme ? Comment la matière reçoit-elle la forme ? Car, puisque la matière devient les corps, l’âme est autre chose qu’elle. Si la forme provenait d’autre chose que de l’âme, la qualité en s’unissant à la matière ne produirait point l’âme, mais des corps inanimés. Si quelque chose

  1. Voy. Enn. II, liv. V, § 5 ; t. I, p. 232.