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SIXIÈME ENNÉADE.

Il est nécessaire de l’admettre ; et c’est pour cela que ceux qui s’appliquent à saisir le caractère propre de chaque être (τὸ τί ἦν εἶναι (to ti ên einai)[1]) réussissent [à saisir aussi sa raison d’être]. En effet, ce qu’est chaque être (ὅ ἐστι (ho esti)), il l’est à cause de telle forme (διὰ τοῦτο (dia touto))[2]. Je m’explique : non-seulement la forme (εἶδος (eidos)[3]) d’un être est pour lui sa raison d’être (ce qui est une vérité incontestable), mais encore, si l’on analyse chaque forme considérée en elle-même, on y trouvera sa raison d’être. Il n’y a que ce qui n’a qu’une vie sans réalité et une vaine existence qui ne porte pas en soi sa raison d’être.

Mais ce qui est une forme, ce qui est propre à l’Intelligence, d’où pourrait-il tenir sa raison d’être ? — De l’Intelligence, dira-t-on ; — Mais la forme n’est point séparée de l’Intelligence ; elle ne fait avec elle qu’une seule et même chose ; si donc l’Intelligence possède les formes dans leur plénitude, cette plénitude des formes implique que leur raison d’être est en elles. L’Intelligence porte en soi la raison d’être de chacune des formes qu’elle contient. Elle est toutes ces formes prises toutes ensemble ou chacune séparément ; nulle d’elles n’a donc besoin qu’on cherche pourquoi elle a été produite (διὰ τί γέγονε (dia ti gegone)) : car en même temps qu’elle a été produite, elle a possédé en elle-même la cause de son existence (τῆς ὑποστάσεως αἰτία (tês hupostaseôs aitia)). Comme elle n’a pas été engendrée par hasard, elle contient tout ce qui appartient à sa

  1. C’est encore une locution empruntée à Aristote : « Le caractère propre de chaque être (τὸ τί ἦν εἶναι (to ti ên einai)), caractère dont la notion est la définition de l’être, est l’essence de l’objet, sa substance même. » (Métaphysique, liv. V, chap. 8.)
  2. « La première cause est l’essence, la forme propre de chaque chose : car ce qui fait qu’une chose est, est tout entier dans la notion de ce qu’elle est ; la raison d’être première est donc une cause et un principe. » (Aristote, Métaphysique, liv. I, chap. 3.)
  3. Le mot εἶδος (eidos), forme pure et intelligible, rappelle ici évidemment l’essence ou forme substantielle d’Aristote, dont Plotin essaie de concilier la théorie avec le système des idées de Platon. Voy. sur ce point le passage de M. Ravaisson que nous avons cité dans les Éclaircissements du tome I, p. 321, note 2.