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SIXIÈME ENNÉADE.

à toute vie, vient toujours se joindre et s’unir ce qui en est l’accessoire, [le plaisir ou la peine] : en effet, il est des fois que l’action rencontre un obstacle à son accomplissement naturel, et qu’à la vie vient se mêler un peu de son contraire, qui altère son indépendance ; mais, d’autres fois, l’action se produit sans que rien en trouble la pureté et la sérénité, et la vie alors a un cours tranquille. Ceux qui regardent cet état de l’intelligence comme désirable et comme préférable à tout disent qu’il est mêlé de plaisir, dans l’impuissance où ils se trouvent de mieux rendre leur pensée. Tel est également le sens des expressions employées par ceux qui appliquent aux choses divines les termes destinés à désigner la joie ici-bas, et qui disent : « Enivré de nectar[1] ; On se rend au festin ; Jupiter sourit, etc. » Cet heureux état de l’intelligence est ce qu’il y a de plus agréable, de plus digne de nos souhaits et de notre amour ; il n’est pas d’ailleurs passager, et ne consiste pas dans un mouvement ; son principe est ce qui colore l’intelligence, l’illumine et la fait jouir d’une douce sérénité. C’est pourquoi Platon ajoute la vérité au mélange, et met au-dessus ce qui donne la mesure[2]. Il dit encore que la proportion et la beauté qui sont dans le mélange passent de là dans le beau[3]. Voilà le bien qui nous appartient, voilà le lot qui nous est propre. C’est là l’objet suprême du désir, objet que nous atteindrons à condition que nous nous ramenions nous-

  1. Voy. Enn. III, liv. V, § 9 ; t. II, p. 120.
  2. Toute chose où nous ne ferons pas entrer la vérité n’existera jamais et n’a jamais existé d’une manière réelle… Dans tout mélange, quel qu’il soit, et de quelque manière qu’il soit formé, si la mesure et la proportion ne s’y rencontrent, c’est une nécessité que les choses dont il est composé, et que le mélange lui-même tout le premier, périssent. » (Platon, Philèbe, trad. de M. Cousin, t. II, p. 459-461.)
  3. « L’essence du bien nous est donc échappée, et s’est allée jeter dans celle du beau : car en toute chose la mesure et la proportion constituent la beauté comme la vertu… Mais nous avons dit aussi » que la vérité entrait avec elles dans le mélange. Par conséquent, si