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SIXIÈME ENNÉADE.

temps de le considérer ; mais elle ne l’échangerait contre aucune chose que ce fût, lui offrît-on le ciel entier, parce qu’il n’y a rien de supérieur, rien de meilleur ; elle ne saurait monter plus haut. Quant aux autres choses, quelque élevées qu’elles soient, elle ne peut alors s’abaisser à les considérer. C’est en ce moment que l’âme juge et reconnaît qu’elle possède réellement là ce qu’elle désirait ; elle affirme enfin qu’il n’y a rien de meilleur que Lui. Elle ne saurait être dupe d’une illusion : car il n’y a rien de plus vrai que la vérité même. L’âme est alors ce qu’elle affirme, ou plutôt elle n’affirme rien que plus tard, et elle n’affirme alors qu’en gardant le silence. Tant qu’elle goûte cette béatitude, elle ne saurait se tromper en affirmant qu’elle la goûte. Si elle affirme qu’elle la goûte, ce n’est pas que son corps éprouve un agréable chatouillement, c’est qu’elle est redevenue ce qu’elle était jadis quand elle jouissait de la béatitude. Toutes les choses qui la charmaient auparavant, commandement, pouvoir, richesses, beauté, science, lui paraissent alors méprisables[1] ; elle ne pouvait pas les dédaigner auparavant, puisqu’elle n’avait encore rencontré rien de meilleur. Enfin, tant qu’elle est avec Lui et qu’elle le contemple, elle ne craint rien. Tout périrait autour d’elle qu’elle le verrait avec plaisir, parce qu’elle resterait seule avec Lui : tant est grande la félicité qu’elle goûte !

XXXV. Tel est alors l’état de l’âme qu’elle n’attache plus de prix même à la pensée, qui excitait auparavant son

  1. « Pour nous, mes enfants, nous croyons que la vie présente n’est rien ; nous ne regardons comme un bien aucune des choses dont l’utilité se borne à cette vie. L’éclat de la naissance, la force du corps, la beauté, la taille, les honneurs, l’empire même, tout ce qu’il y a de plus grand dans ce monde nous paraît peu désirable ; nous n’envions pas le bonheur de ceux qui possèdent ces avantages, mais nous portons plus loin nos espérances, et dans toutes nos actions nous avons pour but une autre vie. » (S. Basile, Discours aux jeunes gens sur la Lecture des auteurs profanes, § 3.)