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SIXIÈME ENNÉADE, LIVRE VIII.


De la liberté de l’Un. — Le Bien absolu doit posséder aussi l’indépendance, mais d’une manière souverainement parfaite.

Supposer que le Bien est par hasard ce qu’il est, c’est détruire les notions de liberté et de volonté, en leur ôtant toute espèce de sens. Mais si l’on admet une distinction réelle entre servitude et liberté, il faut convenir que la liberté est le privilége des êtres éternels qui atteignent le bien sans obstacle. Quant au Bien, il doit posséder la liberté à un degré encore plus élevé, puisqu’il ne saurait chercher quelque chose de meilleur que lui, qu’il demeure en lui-même.

(VIII) En remontant des êtres inférieurs jusqu’au Bien, on voit qu’il est la Liberté même, l’Indépendance même : car on ne peut dire de lui qu’il est selon sa nature, ni qu’il est ainsi par accident ; il n’est contingent ni pour lui-même ni pour les autres êtres.

(IX) Étant supérieur à toutes les choses dont il est le principe, le Bien est supérieur à toute contingence : car il est déterminé en ce sens qu’il est d’une manière unique. Nous ne devons dire de lui que ce qu’il nous apparaît quand il se révèle à nous, savoir qu’il est le vrai Roi, le vrai Principe, le vrai Bien. Il n’est contingent en rien : il est la Puissance universelle véritablement maîtresse d’elle-même, qui est ce qu’elle veut, ou plutôt qui a projeté sur les êtres ce qu’elle veut, mais qui est plus grande que toute volonté.

(X) Si le Premier était contingent, tout serait accidentel dans l’univers et dépendrait du hasard. Or, il n’y a pas de hasard dans l’univers, parce que le Premier donne à toutes choses une détermination, une limite, une forme. D’un autre côté, le Premier est ce qu’il est, non parce qu’il n’aurait pu être autrement, mais parce qu’étant ce qu’il est, il est excellent. Il n’est pas soumis à la Nécessité, mais il est pour les autres êtres la Nécessité et la Loi.

(XI) Quand on sait que le Premier est le principe de toutes choses, il faut s’arrêter là, sans essayer de déterminer ni son existence, ni son essence, ni sa qualité, ni sa raison d’être. Ces questions n’ont pas de sens quand on les pose au sujet de Celui qui est absolu et antérieur à tous les êtres.

(XII) L’âme renferme deux éléments, l’un général, l’autre particulier ; par l’un, elle participe de l’Essence absolue ; par l’autre, elle en diffère. Cette différence lui étant donnée par l’Essence absolue, elle n’est pas souverainement maîtresse de sa nature. C’est le privilége de l’Essence absolue seule d’être maîtresse d’elle-même. Mais comme le Premier est le principe de l’Essence, on ne doit pas dire qu’il est maître de lui dans le sens où on le dit de l’Essence.

(XIII) Si, dérogeant à la sévérité de langage qu’exige ici la raison, nous admettons dans le Premier des actes, alors ses actes, sa volonté et son essence sont identiques : il veut être ce qu’il est, et il est ce qu’il veut. Dans l’existence du Bien est nécessairement contenu l’acte de se choisir et de se vouloir soi-même.

(XIV) Les êtres sensibles sont contingents ; les êtres intelligibles, nécessaires : car ils ont en eux-mêmes leur raison d’être, laquelle est identique à leur essence. Le Premier est la source unique d’où ont découlé ensemble l’essence et la raison d’être, lesquelles n’ont rien de contingent. Il est donc, à plus forte raison, au-dessus de toute contingence, de tout hasard ; il est cause de