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LIVRE PREMIER.


vilége d’être une essence ; elle voit qu’étant elle-même divisible, elle tient de l’Un, qui est indivisible, toutes les choses qu’elle possède, la vie, la pensée, parce que l’Un n’est aucune de ces choses. Tout dérive en effet de l’Un parce qu’il n’est pas contenu dans une forme déterminée ; il est l’Un simplement, tandis que dans l’ordre des êtres l’Intelligence est toutes choses. Aussi l’Un n’est-il aucune des choses que contient l’Intelligence ; il est seulement le principe dont elles procèdent toutes ; voilà pourquoi elles sont des essences : car elles sont déjà déterminées, et chacune a une sorte de forme. L’Être doit être contemplé, non dans l’indétermination, mais au contraire dans la détermination et le repos. Or, le repos consiste pour les intelligibles dans la détermination et la forme par lesquelles ils subsistent.

L’Intelligence qui mérite d’être appelée l’Intelligence la plus pure n’a donc pu naître que du Premier principe. Elle a dû, dès sa naissance, engendrer tous les êtres, toute la beauté des idées, tous les dieux intelligibles : car elle est pleine des choses qu’elle a engendrées ; elle les dévore, en ce sens qu’elle les retient en elle-même, qu’elle ne les laisse pas tomber dans la matière ni être nourries par Rhéa[1]. C’est ce que font entendre les mystères et les mythes : « Saturne, est-il dit, le plus sage des dieux, naquit avant Jupiter et il dévorait ses enfants. » Saturne représente ici l’Intelligence pleine de ses conceptions et parfaitement pure[2]. — Ils ajoutent : « Jupiter, dès qu’il fut

  1. Sur Rhéa, qui personnifie ici la matière, Voy. notre tome II, p. 169, note 2.
  2. « Il est naturel que Jupiter soit le fils d’une intelligence supérieure ; et en effet, le nom de Cronos [Saturne] est un composé de deux parties, dont la première, ϰόρος (koros), signifie, non pas le fils, mais bien ce qu’il y a de plus pur dans l’intelligence, νόος (noos). Cronos, à son tour, est fils d’Uranos (le Ciel) : on a très-bien appelé Uranie, Οὐρανία, ὁρῶσα τα ἄνω (Ourania, horôsa ta anô), la contemplation des choses d’en haut, d’où vient l’intelligence pure, s’il en faut croire les hommes qui s’occupent des choses célestes et qui trouvent que