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LIVRE PREMIER.


Aristote, qui vécut à une époque postérieure, dit que le premier principe est séparé [des choses sensibles] et qu’il est intelligible[1]. Mais, en affirmant qu’il se pense lui-même, il le fait déchoir du premier rang. Il admet aussi d’autres intelligibles en nombre égal à celui des sphères célestes, pour que chacune ait un moteur[2] ; il professe ainsi sur les intelligibles une autre théorie que Platon, et comme il n’a pas de raison plausible, il allègue la nécessité. On pourrait lui faire ici une objection fondée : il semble plus raisonnable d’admettre que toutes les sphères coordonnées par rapport à un seul plan se rapportent toutes à l’Un et au Premier. On aurait le droit de poser aussi cette question : les intelligibles [pour Aristote] dépendent-ils de l’Un, du Premier, ou bien y a-t-il plusieurs principes pour les intelligibles ? — Si les intelligibles dépendent de l’Un, ils seront sans doute disposés symétriquement, comme le sont dans le monde sensible les sphères dont chacune en renferme une autre, et dont une seule, extérieure aux autres, les contient et les domine toutes. Ainsi, dans ce cas, le premier intelligible enveloppera toutes choses là-haut et sera le monde intelligible. De même que les sphères ne sont pas vides, que la première est pleine d’astres, que chacune des autres en est pleine aussi, de même là-haut les moteurs contiendront beaucoup de choses, et tout aura une existence plus réelle. — D’un autre côté, si chacun des intelligibles est principe, tous seront contingents. Comment alors uniront-ils leur action et concourront-ils par leur accord à produire tous un seul effet, qui est l’harmonie du ciel ? Pourquoi dans le ciel les choses sensibles sont-elles égales en nombre aux moteurs intelligibles ? Enfin, pourquoi ceux-ci sont-ils plusieurs, puisqu’ils sont incorporels et que nulle matière ne les sépare les uns des autres ?

  1. Voy. Aristote, Métaphysique, XII, 7.
  2. Voy. Aristote, Métaphysique, XII, 8.