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LIVRE PREMIER.


c’est qu’elle n’est pas mélangée au corps, qu’elle n’a rien de sa nature. Aussi Platon dit-il : « Dieu a répandu l’Âme » autour du monde[1]. » Il veut faire entendre qu’une partie de l’âme demeure dans le monde intelligible. Il dit aussi, en parlant de notre âme : « elle cache sa tête dans le ciel[2]. » Il recommande également de séparer l’âme du corps[3] ; il ne parle pas d’une séparation locale, que la nature seule établit ; il veut que l’âme n’incline pas vers le corps, ne s’abandonne pas aux fantômes de l’imagination, et ne devienne pas ainsi étrangère à la raison ; il veut qu’elle tâche d’élever avec elle au monde intelligible sa partie inférieure, qui est établie dans le monde sensible et qui est occupée à façonner le corps[4].

XI. Puisque l’âme raisonnable porte des jugements sur le juste et le beau et décide si tel objet est beau, si telle action est juste, il doit y avoir une justice et une beauté immuables d’où la raison discursive tire ses principes[5] ; sinon, comment pourrait-elle raisonner ? Si l’âme tantôt raisonne sur la justice et sur la beauté, tantôt ne raisonne pas sur ces choses, il faut que nous ayons en nous l’Intelligence qui, au lieu de raisonner, possède toujours la justice et la beauté ; enfin, il faut que nous ayons en nous la cause et le principe de l’Intelligence, Dieu, qui n’est point divi-

  1. Voy. le passage du Timée cité dans les Éclaircissements du tome I, p. 360.
  2. Voy. Platon, Phèdre.
  3. Voy. les Éclaircissements du tome I, p. 381-383.
  4. Voy. Enn. III, liv. VI, § 5 ; t. II, p. 135.
  5. Voy. ci-après le livre iii, § 3. Le P. Thomassin cite ce passage et le commente ainsi : « Hinc animus noster de bonis, de justis, de pulchris, de veris semper ratiocinatur, nec posset tamen nisi horum ideas, quæ æternæ haud dubie et immutabiles sunt, semper sibi obversantes contemplaretur, ex eisque tanquam regulis de singularibus judicando definiret. Sic ergo dum singularia et mutabilia judicat et dispensat, universales et immutabiles regulas ac ideas in intelligibili mundo regnantes contuetur ; sic non tota illinc abest, nec tota hic adest ; sic non tota illinc huc descendit. » (Dogmata theologica, t. I, p. 19.)