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Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 1, 1870.djvu/113

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ÉCOUTE LA LECTURE DES POËTES.

et :

Avant le temps pourquoi m’immoler ? La lumière
M’est douce, et l’on me force à descendre sous terre[1] ;

ce sont bien là autant d’exclamations échappées à des créatures qui sont sous l’empire de croyances et d’erreurs toutes personnelles. Voilà pourquoi ces exclamations nous frappent et nous troublent davantage. Nous nous laissons remplir de l’émotion et du trouble dont elles procèdent. C’est contre de semblables effets que nous devons d’abord nous prémunir : il faut que toujours une voix nous répète à l’oreille : « la poésie ne se préoccupe en aucune façon de ce qui est réellement ». Or en ces matières, la vérité, même pour ceux dont l’unique but est de reconnaitre et d’approfondir ce qui existe, veut une recherche, une appréciation qui est fort difficile, comme ils le reconnaissent eux-mêmes : il faut toujours avoir à la pensée ces vers d’Empédocle :

Les humains n’en sauraient acquérir la science
Par les yeux, par l’oreille et par l’intelligence ;

et ceux-ci, de Xénophane :

Je vais parler des Dieux, du Monde ; et c’est matière
Où l’homme aura toujours une ignorance entière.

Citons aussi l’aveu de Socrate qui, dans Platon[2], se défend, avec serment, de pénétrer de tels secrets. Car on prêtera une moins grande attention aux poëtes, et l’on croira moins à leur savoir en ces matières, quand on aura reconnu que les philosophes y sont pris de vertige.

3. Mais pour affermir encore notre jeune lecteur, traçons-lui, en même temps que nous l’approchons des œuvres des poëtes, traçons-lui un portrait de la poésie. Disons que c’est un art, une puissance d’imitation, qui procède à l’inverse de la peinture. Il ne faut pas que le jeune homme se soit borné à entendre cette phrase rebattue : « la poésie est une peinture parlante, et la peinture, une poésie muette » . Apprenons-lui, de plus, que quand nous voyons

  1. Euripide, Iphigénie à Aulis, v. 207.
  2. Républ. II et III.