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Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 1, 1870.djvu/230

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qui le proclamaient Dieu, c'était quand il dormait ou quand il faisait l'amour, attendu qu'il dépouillait là toute noblesse et tout empire sur lui-même Et nous, si nous examinons ce qui se passe le plus souvent au fond de nos propres âmes, si nous reconnaissons ce qu'elles renferment constamment de turpitudes, de misères, d'imperfections, de fautes, nous nous surprendrons à sentir le besoin, non pas d'un ami qui nous donne des éloges et dise du bien de nous, mais d'un censeur rigoureux et armé de franchise qui nous reproche notre perversité intérieure. Car dans le grand nombre il y en a bien peu qui aient le courage de dire toute la vérité à leurs amis plutôt que de leur faire plaisir; et encore dans ce peu vous en trouverez difficilement qui sachent accomplir un pareil devoir : ils se figurent que la franchise consiste à employer l'outrage et les humiliations. Il est certain que, comme tout autre remède, la franchise appliquée mal à propos n'aboutit qu'à chagriner inutilement et qu'à troubler; elle produit en nous blessant les mêmes effets que la flatterie en nous caressant. On ne fait pas seulement du tort par des éloges déplacés : on en fait aussi par des reproches intempestifs, et c'est là ce qui nous rend surtout facilement saisissables et accessibles aux flatteurs. Nous ressemblons à l'eau, qui abandonne les lieux escarpés et résistants, pour glisser dans les fonds creux et à terre molle. Il faut donc que la franchise soit tempérée par la douceur de caractère; il faut qu'elle procède avec réflexion, qu'elle diminue l'éclat et la vivacité de ce que j'appellerai sa lumière, de peur que, troublés et blessés par ces reproches continuels, par ces accusations qui n'épargnent rien, les gens n'aillent se réfugier à l'ombre de la flatterie et ne se tournent vers ce qui ne leur cause pas de souffrance. Car on doit, mon cher Philopappus, fuir tout vice par le moyen de la vertu et non par le vice contraire. Ainsi font pourtant quelques-uns, qui croient échapper à la timidité par l'impudence, et à la rusticité par la bouffonnerie.