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Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 4, 1870.djvu/635

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CONTRE COLOTÈS.

sensations que l’on éprouve, elle conserve son infaillibilité. Si au contraire elle va plus loin, si elle s’occupe de porter un jugement, de formuler une déclaration sur les choses extérieures, elle se trouble souvent elle-même, et elle est en opposition avec d’autres individus qui des mêmes choses reçoivent des impressions contraires, des idées différentes. »

25. Mais Colotès semble éprouver ce qui arrive aux enfants lorsqu’ils commencent à apprendre à lire. Habitués à épeler les lettres dans des tablettes, s’ils les voient hors de là écrites sur d’autres surfaces, ils ne s’y reconnaissent plus et sont embarrassés. De même, les propositions qu’il accepte et qu’il approuve dans les écrits d’Épicure, Colotès ne les comprend plus, ne les reconnaît plus, dès que ce sont d’autres qui les formulent. Ceux qui disent, lorsqu’il se présente à nos yeux à la fois une image ronde et une autre brisée, que l’organe visuel reçoit vraiment une impression de même forme, et qui pourtant ne permettent pas de dire que la tour est ronde, que l’image est brisée, ceux-là[1] confirment la vérité de l’affection et l’existence de l’image, mais ils refusent d’admettre que les objets extérieurs y soient conformes. Mais, comme les Cyrénaïques se trouvent obligés de dire qu’ils sont « chevalisés, muraillés », et non pas « qu’il y a cheval, qu’il y a muraille », de même, sans contredit, on est forcé de dire que l’œil est arrondi, que l’œil est brisé, et non pas que la rame est brisée, que la tour est ronde : car l’image qui affecte l’œil est brisée ; mais la rame d’où vient l’image ne l’est pas.

Ainsi donc, puisqu’il y a de la différence entre la sensation et l’objet extérieur qui la produit, il faut, ou bien que l’on s’en tienne à se fier à l’affection éprouvée, ou bien que l’on soit convaincu de faux quand on prétend établir l’existence du sujet sur son apparence. Pourquoi crier contre les Cyrénaïques ? Pourquoi s’indigner de ce que, s’expliquant sur nos sensations, ils disent que ce n’est pas l’objet extérieur qui est chaud, mais que c’est l’affection renfermée dans

  1. Ce sont les Épicuriens, ceux dont Colotès est partisan.