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Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 4, 1870.djvu/643

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CONTRE COLOTÈS.

plutôt de ce qu’ils la donnent à quelques-unes ; et l’on conçoit à merveille, non pas qu’ils restent sans avoir d’opinion arrêtée sur ce qu’ils voient, mais qu’ils en aient de différentes les unes des autres. Il est moins surprenant que l’on n’affirme rien et que l’on suspende son jugement à propos de questions opposées, qu’il ne le serait que l’on prononçât des jugements contradictoires et qui se détruiraient. Celui qui n’établissant rien, ne niant rien, suspend son adhésion, est moins opposé à une opinion émise que celui qui nie cette opinion ; et, pareillement, il est moins opposé à celui qui la nie qu’à celui qui l’affirme. Mais s’il est possible de suspendre son assentiment en ces matières, ce n’est pas possible en ce qui regarde les autres questions. C’est du moins à cette conclusion que vous arrivez, vous autres qui prétendez qu’il n’y a point de différence entre une sensation et une sensation, entre une perception et une perception[1].

29. Ainsi donc, quoi qu’en dise Colotès, il ne faut pas voir une fable, ou une séduction exercée contre l’esprit de jeunes adeptes étourdis et téméraires, dans cette doctrine de l’assentiment suspendu. C’est au contraire une attitude d’hommes mûrs, une disposition qui garantit l’infaillibilité. C’est le moyen de ne pas abandonner son jugement à des sensations si décriées et si incertaines, de ne pas partager l’erreur de ceux qui veulent que l’on ait foi en des perceptions obscures, et qui voient tant de sujets d’incrédulité et d’incertitudes dans les plus évidentes. Mais ce qu’il faut regarder comme pures fables, c’est cet « infini[2] », ce sont ces images. Comment n’inspirerait pas de la témérité et de la présomption aux jeunes gens celui qui, à propos de Pythoclès à peine âgé de dix-huit ans, écrit, qu’il n’est pas en Grèce de nature meilleure, que Pythoclès exprime ses opinions avec une facilité prodigieuse. « Je me passionne pour lui, ajoute l’écrivain[3], comme se passionnent les femmes ; et je fais des vœux pour que la supériorité des mérites de ce

  1. Amyot traduit : « entre sentiment et sentiment, sentiment et imagination. »
  2. C’est-à-dire, cette infinité de mondes et ces images d’Épicure.
  3. Cet écrivain est Épicure.