Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/11

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sans contredit, le plus populaire parmi nous. Il doit certainement cette popularité à la nature de son génie, au choix des sujets qu’il a traités, à l’éternel intérêt qui s’attache aux noms des grands hommes dont il a peint les images ; mais il la doit surtout à son premier traducteur. Amyot n’était pas un écrivain vulgaire. Son Plutarque est vivant ; et il n’est pas d’auteur, dans notre langue, qui soit plus français que ce vieux Grec, mort en Béotie il y a dix-huit siècles. Rien de plus coulant, de plus facile, de plus naturel, que la diction d’Amyot : l’expression propre lui vient à souhait ; les tours heureux, l’épithète élégante, le nombre et l’harmonie, tout ce qui fait la grâce et le charme du discours, tout ce que d’autres suent à chercher en vain, afflue aux mains de cet homme fortuné, avec une merveilleuse abondance. Qu’on ne s’étonne donc point qu’Amyot se soit placé au premier rang des écrivains, dans l’estime de nos pères, et que Montaigne ait donné la palme, selon son mot, à un simple traducteur. Ce traducteur est un des fondateurs du style français ; ce traducteur n’est un traducteur que de nom : il a écrit Plutarque à sa manière ; il a fait, non pas le Plutarque de Chéronée, mais le Plutarque d’Amyot. À considérer son ouvrage comme une copie, comme la reproduction d’un monument de l’antiquité, on s’exposerait à diffamer, ainsi que l’a fait Méziriac au dix-septième siècle, une de nos gloires nationales. Il est certain qu’Amyot, qui a tant traduit de grec dans sa vie, n’a jamais su à fond la langue grecque. Il serait infini d’énumérer tous les passages où il a substitué, sans le vouloir et sans le savoir, sa propre pensée à celle de l’original. Méziriac énumérait, dans les seules Vies d’Amyot, deux mille erreurs : ce n’était pas trop dire. Ces vers quelquefois si jolis, et qui ont laissé un souvenir dans toutes les mémoires, par lesquels Amyot traduit les passages de poëtes dont Plutarque a semé ses écrits, sont notamment de perpétuels faux sens, et ne peuvent donner aucune idée de ce qu’ils sont censés reproduire. Mais c’est surtout dans le style, c’est dans la physionomie, si je puis ainsi parler, que l’infidélité est complète et flagrante. Les qualités du style d’Amyot qu’on prise le plus sont précisément celles dont les