Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/119

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même. Ceux qui possédaient le plus de biens n’eurent aucun avantage sur les pauvres, les richesses n’ayant aucune issue dans le public, et demeurant dans l’intérieur des maisons, enfermées et oisives. Voilà pourquoi les meubles d’un usage journalier et indispensable, lits, sièges, tables, étaient chez eux très-bien travaillés. Voilà d’où vient la réputation du cothon laconien, ce gobelet si commode, surtout aux soldats en campagne, comme l’assure Critias[1] : sa couleur empêchait qu’ils n’aperçussent la malpropreté des eaux qu’on est quelquefois obligé de boire, et dont la vue les eût dégoûtés ; d’ailleurs les ordures qui s’y trouvaient étaient retenues par les rebords rentrants du vase, et il ne venait à la bouche que ce qu’il y avait de pur. C’est au législateur qu’on dut ce bien-être ; car les artisans, forcés d’abandonner les outrages inutiles, montraient tout leur talent dans l’exécution des indispensables.

Lycurgue voulut pousser plus loin encore la persécution contre le luxe, et la destruction de l’amour de la richesses. Il fonda une troisième institution, et des plus belles, celle des repas publics. Il obligea les citoyens de manger tous en commun, et de se nourrir des mêmes viandes, des mêmes mets réglés par la loi. Il leur défendit de prendre chez eux leurs repas, sur des lits somptueux et devant des tables magnifiques ; de se mettre à la merci des pâtissiers et des cuisiniers, et de s’engraisser dans les ténèbres, comme des animaux gloutons. C’est, en effet, corrompre à la fois son esprit et son corps ; c’est lâcher la bride à toute sensualité et à toute débauche, et, par suite, se faire un besoin de longs sommeils, de bains chauds, d’une oisiveté continuelle, et, en quelque sorte, d’un traitement journalier de malade. C’était là un grand point ; mais un plus grand résultat encore, ce fut d’avoir mis les richesses hors d’état d’être volées,

  1. Voyez dans Athénée, XI, 10, la description de ce vase par Critias.