Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/141

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

camp : on y menait le genre de vie déterminé par la loi ; chacun y avait son emploi dans l’État, et tous vivaient avec cette pensée, qu’ils ne s’appartenaient pas à eux-mêmes, mais à la patrie. Quand ils n’avaient pas reçu d’autre ordre particulier, et qu’ils n’avaient rien à faire, ils surveillaient les enfants, leur enseignaient quelque chose d’utile, ou ils s’instruisaient eux-mêmes auprès des vieillards ; car, de tous ces biens et de tous ces avantages dont Lycurgue avait fait jouir ses concitoyens, un des plus grands, c’était cette abondance de loisir qu’ils durent à la défense de s’occuper d’aucune espèce d’ouvrage mercenaire. Ils n’avaient pas besoin de travailler, de se donner de la peine, pour amasser des richesses : Lycurgue les avait rendues inutiles, et, par conséquent, méprisables. Les Hilotes labouraient pour eux la terre, et en payaient un revenu fixe. Un Spartiate se trouvait à Athènes, un jour qu’on y rendait la justice ; il entendit parler d’un homme qu’on venait de condamner pour oisiveté, et qui s’en retournait chez lui, accompagné de ses amis en proie, comme lui-même, à la douleur et à un violent chagrin. « Montrez-moi, demanda le Spartiate à ses voisins, où est cet homme qu’on punit d’avoir vécu en homme libre. » Tant c’était à leurs yeux chose basse et servile d’exercer les arts mécaniques, et d’amasser des richesses ! Les procès sortirent de Sparte avec l’argent ; et rien n’était plus naturel : il n’y avait plus ni richesse ni pauvreté ; l’égalité avait banni la disette, et la frugalité entretenait l’abondance. Ce n’étaient que danses, que festins et banquets, que passe-temps de chasse, exercices de gymnase, entretiens communs, tout le temps qu’on n’était point en guerre.

Ceux qui avaient moins de trente ans n’allaient jamais au marché : ils faisaient faire par leurs parents, ou par leurs amoureux, les provisions nécessaires au ménage. Les vieillards auraient eu honte de donner trop de temps à des soins de cette espèce : il leur fallait passer la plus