Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

telle qu’on la pratique aujourd’hui, par le moyen d’oignons, de cheveux et d’anchois.

Suivant d’autres, ce ne sont pas ces dieux qui lui apprirent cette expiation : seulement, par leurs charmes magiques, ils firent descendre Jupiter. Le dieu irrité dit à Numa : « Il faut, pour faire l’expiation, des têtes… — d’oignons, interrompit Numa ; — d’hommes, » continua Jupiter. Numa voulut encore éluder cet ordre cruel : « Avec leurs cheveux ? demanda-t-il. — Avec de vivants… répondit Jupiter ; — anchois, » se hâta de dire Numa. C’est Égérie qui lui avait suggéré le stratagème. Jupiter s’en retourna avec des dispositions favorables, ce qui fit donner à ce lieu le nom d’Ilicium[1] ; et les réponses de Numa furent la règle de l’expiation. Ces fables ridicules font connaître du moins quelle était, sur les hommes de ce temps, la puissance de la religion, et à quelle discipline Numa les avait façonnés. Pour lui, toutes ses espérances se reposaient si bien dans la protection divine, qu’un jour, qu’on vint lui annoncer que les ennemis approchaient : « Moi, dit-il en souriant, je sacrifie. »

Numa fut le premier qui bâtit un temple à la Foi et au dieu Terme, et qui « apprit aux Romains que le grand serment, c’est de jurer la Foi[2] : serment dont ils se servent encore aujourd’hui. Terme signifie une borne. On fait à ce dieu des sacrifices publics et particuliers, sur les limites des champs. On lui immole à présent des victimes vivantes ; mais le sacrifice, dans les temps anciens, se faisait sans effusion de sang. Numa, éclairé par la raison, avait compris que le dieu des bornes, le gardien de la paix et le témoin de la justice, doit être pur de tout meurtre. Ce fut encore lui, je pense, qui borna le territoire de Rome. Romulus n’avait pas voulu le faire,

  1. Plutarque semble faire venir ce mot de illicere, charmer. Suivant Ovide, ilicium est pour elicium, d’elicere, faire jaillir, évoquer, etc.
  2. En latin Medius Fidius.