Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/214

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par le nom de monarchie, comme si la tyrannie conquise par la vertu ne devenait pas une royauté légitime. N’en avait-on pas vu un exemple en Eubée, dans la personne de Tynnondas[1] ; et Mitylène ne venait-elle pas de donner à Pittacus[2] le pouvoir suprême ? Mais Solon ne put être ébranlé par toutes ces raisons. Il répondit à ses amis que la tyrannie était un beau pays, mais qui n’avait point d’issue. Dans ses poésies, il dit à Phocus :

… Si j’ai épargné
Ma patrie (car la violence impitoyable de la tyrannie
N’a pas souillé mes mains) ; si je n’ai point terni ni déshonoré ma gloire,
Je ne m’en repens point. C’est par là que j’ai vaincu, ce me semble,
Tous les hommes…


On voit, à ce trait, que, dès avant d’avoir publié ses lois, il jouissait déjà d’une grande considération.

Au reste, il rapporte lui-même en ces termes les railleries que bien des gens faisaient de lui, quand il eut refusé la tyrannie :

Solon n’a été ni un sage, ni un homme de sens :
Les biens que lui offraient les dieux, il les a refusés.
Le poisson pris, il a regardé, tout ébahi, et il n’a point tiré le grand filet.
Il a perdu sa raison ; il ne se connaît plus :
Autrement, pour posséder en maître tant de trésors,
Et pour régner sur Athènes un seul jour,
Il eût voulu être écorché vif, et que sa race périt tout entière.


Voilà comment il fait parler sur son compte les hommes du vulgaire et les méchants.

Toutefois, pour avoir repoussé la tyrannie, il n’en devint ni lâche ni mou dans l’administration des affaires.

  1. Ce Tynnondas n’est pas autrement connu.
  2. Celui qui est compté parmi les sept sages.