Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/216

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cependant on convient généralement que la décharge fut une véritable abolition des dettes ; et ce sentiment est confirmé par ce que Solon lui-même en a dit dans ses poésies, où il se glorifie d’avoir fait disparaître de l’Attique les écriteaux qui désignaient les terres hypothéquées. « La terre, serve auparavant, dit-il, est libre maintenant ; les citoyens qu’on avait adjugés à leurs créanciers, je les ai ramenés de la terre étrangère, où ils avaient si longtemps erré qu’ils ne parlaient plus la langue attique ; et j’ai remis les autres en liberté, qui subissaient dans leur patrie un honteux esclavage[1]. » Cette action, toutefois, lui attira le plus fâcheux déplaisir qu’il pût éprouver. Pendant qu’il s’occupait de l’abolition des dettes, et qu’il cherchait les termes les plus insinuants pour la rédaction du décret, et un préambule convenable, il communiqua son projet à trois de ses meilleurs amis, Conon, Clinias et Hipponicus, qui avaient toute sa confiance. Il leur dit qu’il ne toucherait pas aux terres, mais qu’il abolirait les dettes. Ceux-ci saisissent l’occasion, préviennent la publication de la loi, empruntent à des riches des sommes considérables, et achètent de grands fonds de terres ; puis, le décret porté, ils gardèrent les biens, et ils ne rendirent pas l’argent qu’ils avaient emprunté. Leur mauvaise foi excita des plaintes amères contre Solon, et elle le fit accuser d’avoir été, non la dupe de ses amis, mais le complice de leur fraude. Ce soupçon injurieux fut bientôt détruit, quand il eut, tout le premier, aux termes de sa loi, fait la remise des cinq talents qui lui étaient dus. La somme montait même à quinze, selon quelques-uns, entre autres Polyzélus le Rhodien[2].

  1. On possède encore les beaux vers de Solon, dont Plutarque ne donne guère ici que le sens général. Voyez le chapitre où j’ai parlé de Solon, dans mon Histoire de la Littérature grecque.
  2. Tout ce qu’on sait de Polyzélus, c’est qu’il avait écrit sur les choses mémorables de l’île de Rhodes. 5 talents font plus de 27,000 francs, et 15 talents plus de 80,000 francs.