Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
245
PUBLICOLA.

de toutes les vertus ; et sa valeur militaire était à toute épreuve. Ayant formé le dessein de tuer Porsena, il prend l’habit étrusque, pénètre dans le camp des ennemis, dont il savait la langue, et il fait le tour du tribunal où le roi était assis. Mais, comme il ne le connaissait pas personnellement, et qu’il craignait de se découvrir en demandant où était Porsena, il tue, d’un coup d’épée, un des assesseurs du roi, qu’il avait pris pour Porsena lui-même. À l’instant, on l’arrête et on l’interroge. Il y avait, près du tribunal, un brasier ardent, qu’on venait d’apporter, pour un sacrifice qu’allait faire Porsena. Mucius mit la main droite sur le feu ; et, pendant que sa chair brûlait, il regardait Porsena d’un visage ferme et d’un œil menaçant. Porsena, frappé d’admiration, le laissa aller, et lui tendit son épée du haut du tribunal. Mucius la reçut de sa main gauche : c’est de là, dit-on, qu’il fut surnommé Scévola, c’est-à-dire gaucher. « J’ai bravé tes menaces, dit-il à Porsena en prenant son épée ; mais je suis vaincu par ta générosité. Je vais te faire, par reconnaissance, un aveu que la violence n’aurait jamais pu m’arracher. Trois cents Romains ont conçu la même pensée que moi ; et ils errent dans ton camp, épiant le moment favorable. Pour moi, désigné par le sort pour tenter le premier l’entreprise, je ne me plains pas de la Fortune, parce que j’ai failli à tuer un homme de bien, et plus fait pour être l’ami des Romains que leur ennemi. » Porsena ne douta point de la vérité de ce qu’il lui disait, et il se prêta plus volontiers à un accommodement, bien moins encore, à mon avis, par la crainte des trois cents conjurés, que par l’estime et l’admiration que lui inspirèrent le courage et la vertu des Romains[1]. On s’accorde à donner à ce héros les noms de Mucius Scévola ;

  1. Les Romains, d’après la tradition la plus vraisemblable, furent vaincus par les Étrusques ; Porsena entra dans Rome, et il dicta les conditions de paix qui lui plurent : seulement il consentit à ne pas rétablir les rois.