Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/296

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et il se servait d’elle pour gouverner son père. Thémistocle remarquait en plaisantant que son fils avait plus de pouvoir que pas un des Grecs. « En effet, disait-il, les Athéniens commandent aux Grecs, moi aux Athéniens, sa mère à moi ; et lui à sa mère. » Il affectait en tout la singularité. Il avait une terre à vendre ; il fit annoncer, dans la criée : « On aura, par-dessus le marché, un bon voisin. » Deux prétendants lui demandaient sa fille ; il préféra l’homme de bien à l’homme riche, disant : « Je veux pour gendre un homme qui ait besoin de richesses, plutôt que des richesses qui aient besoin d’un homme. » Telles étaient les saillies de Thémistocle.

Après les exploits que j’ai retracés, il s’occupa, sans perdre un instant, de rebâtir et de fortifier Athènes, et il conjura l’opposition des éphores[1] à prix d’argent. Tel est le récit de Théopompe. Selon la tradition la plus accréditée, il employa la ruse. Il se rendit à Sparte, avec le titre d’ambassadeur ; et, comme les Spartiates se plaignaient de ce qu’on fortifiait Athènes, et qu’ils s’appuyaient du témoignage de Poliarque, envoyé expressément par les Éginètes pour accuser les Athéniens, il nia le fait, et il proposa de dépêcher des gens à Athènes, pour s’en assurer. Il ne voulait que gagner du temps pour achever les murailles, tout en donnant aux Athéniens, dans ceux qu’on enverrait, des otages de sa personne. Le but fut atteint. Les Lacédémoniens, instruits de la vérité, dissimulèrent leur ressentiment, et ils le laissèrent partir sans lui faire aucun mal.

Il fit ensuite fortifier le Pirée[2], parce qu’il avait reconnu la commodité de ce port. Faire ainsi prendre au peuple athénien le goût de la mer, c’était suivre une politique tout opposée à celle des anciens rois d’Athènes. Ceux-ci, dit-on, afin d’éloigner les citoyens du commerce maritime, et de leur faire abandonner désormais la na-

  1. Magistrats de Sparte.
  2. Le Pirée est encore aujourd’hui un très-bon port.