Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/349

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Camille eut le triomphe : on ne devait pas moins à l’homme qui avait arraché sa patrie des mains des ennemis, et qui ramenait Rome dans Rome même ; car les citoyens qui en étaient sortis avec leurs femmes et leurs enfants y rentraient à la suite du triomphateur. Les assiégés du Capitole, qui avaient été si près de mourir de faim, sortirent pour les recevoir. On s’embrassa en versant des larmes de joie : on osait à peine croire à un bonheur si inespéré. Les prêtres des dieux et les ministres des temples portaient les objets sacrés qu’ils avaient ou enterrés avant de prendre la fuite, ou emportés avec eux : spectacle bien doux pour les citoyens ! On eût dit, au joyeux accueil que leur faisait le peuple, que c’étaient les dieux eux-mêmes qui rentraient avec eux dans Rome. Camille offrit des sacrifices, et il purifia la cité avec les cérémonies dont les pontifes dictaient les formules ; puis il fit réparer les temples, et, outre ceux qui existaient auparavant, il en bâtit un au dieu Aïus Locutius[1], au lieu même où Marcus Céditius avait entendu pendant la nuit cette voix divine qui annonçait l’arrivée des barbares. Ce ne fut pas sans peine et sans fatigue que l’on retrouva les emplacements des anciens temples : il fallut toute la constance de Camille, et les laborieuses recherches des prêtres.

Mais, quand il fut question de rebâtir la ville, qui était entièrement détruite, le découragement s’empara de tous les esprits, à l’idée d’une pareille tâche. Le peuple, qui manquait de toutes les ressources nécessaires, différait de jour en jour. Après tous les maux qu’on venait d’éprouver, on sentait bien plus le besoin de prendre un peu de bon temps et de repos ; les fortunes étaient détruites, les corps fatigués : on hésitait à s’engager dans ces travaux, et à s’épuiser davantage encore. Insensiblement, les pensées se tournèrent, comme jadis, du côté de

  1. Nom formé des mots aio et loquor, dire et parler.