Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/391

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priétés légitimes ne dépérirent point par sa négligence ; mais les détails de cette administration ne le détournèrent jamais de ses occupations politiques. Il assura son revenu par le mode d’économie domestique qui lui paraissait le plus simple et le plus certain : c’était de faire vendre en masse toute sa récolte de l’année, et ensuite d’acheter au marché toutes les choses nécessaires et de régler ainsi, sur son avoir, son intérieur et sa dépense de chaque jour ; habitude qui ne plaisait guère à ses fils devenus hommes, ni à leurs femmes, lesquelles trouvaient Périclès trop parcimonieux, et qui blâmaient cette régularité de dépense journalière, ces relevés faits avec tant d’exactitude, l’absence de cette abondance qu’on devait s’attendre à voir dans une maison riche et opulente, enfin cette balance rigoureuse de la dépense et de la recette. Celui qui entretenait ce bon ordre extrême était Évangélus, un de ses serviteurs, homme que la nature avait doué d’un talent tout particulier pour une intendance de ce genre, ou que Périclès y avait formé lui-même.

Or, une telle conduite ne s’accordait guère avec la philosophie d’Anaxagore. Car celui-ci, dans un mouvement de noble délire et d’enthousiasme pour la science, avait donné sa maison ; et il avait laissé ses terres en friche aux troupeaux que l’on y voudrait mener paître. Mais il n’en est pas de même, ce me semble, d’un philosophe spéculatif et d’un homme politique. Le premier ne s’occupe que du beau moral, sans que son intelligence ait besoin d’aucun instrument physique, d’aucune matière extérieure ; et l’autre, au contraire, dévoue ses facultés au service matériel des hommes : la richesse, pour lui, est donc chose, non pas seulement de première nécessité, mais d’ornement utile et louable. Ainsi Périclès était riche, et il soulageait un grand nombre de pauvres. On raconte même que, tandis qu’il était fort occupé par les affaires publiques, Anaxagore déjà vieux, oublié de lui et de tout le monde, et tombé dans la plus grande détresse,