Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/441

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Surpris d’une plaisanterie à laquelle ils étaient loin de s’attendre, tous se mirent à rire ; et, en descendant de la colline, ils la rapportèrent à ceux qu’ils rencontraient successivement : de sorte que le rire gagna de proche en proche, et qu’Annibal même ne put s’empêcher de rire aussi. Cela suffit pour rendre la confiance aux Carthaginois, persuadés qu’il fallait que leur général eût un bien grand et bien profond mépris des ennemis, pour ainsi rire et plaisanter à la vue du péril.

Annibal usa, dans cette journée, de deux stratagèmes : l’un consistait dans sa position, l’autre dans son ordre de bataille. Il plaça ses troupes de manière qu’elles eussent à dos un vent qui soufflait comme une trombe[1], par rafales brûlantes, enlevant, de ces plaines vastes et poudreuses, un sable fort épais : le sable passait par-dessus les lignes des Carthaginois, et il venait aveugler les Romains, qui marchaient en désordre, forcés qu’ils étaient de détourner la tête. Il rangea, aux deux extrémités de son armée, ce qu’il avait de plus robustes et de plus vaillants soldats, et au centre les moins aguerris : le centre était disposé en forme de coin, dont la pointe s’avançait de beaucoup en avant du reste de la ligne. Les plus braves des deux ailes devaient observer le moment où les Romains enfonceraient le front de bataille et pénétreraient, à la suite des fuyards, jusqu’au milieu des lignes : alors ils obliqueraient rapidement de chaque côté, pour former le cercle derrière eux, et pour les prendre ainsi en flanc et à revers. C’est sans doute cette manœuvre qui rendit plus sanglante encore la défaite des Romains. En effet, lorsque le centre eut cédé, et que les Romains, en poussant l’ennemi, eurent plongé dans ses rangs, le corps de bataille changea d’aspect, et prit la forme d’un croissant : alors les commandants des deux ailes exécutèrent leur conversion à droite et à

  1. Tite-Live le nomme vulturne : c’était un vent du sud-ouest.