Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/443

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conseils jusqu’à la fin ; qu’il a été fidèle à la parole qu’il lui avait donnée, mais qu’il a été vaincu, d’abord par Varron, et ensuite par Annibal. » Aussitôt qu’il eut donné cette commission à Lentulus, il le congédia ; et, se jetant au milieu de la foule qu’on massacrait, il s’y fit tuer[1].

Les Romains perdirent, dit-on, dans la bataille, cinquante mille morts et quatre mille prisonniers. Après le combat, l’ennemi prit encore, dans les deux camps, au moins dix mille hommes.

Après une telle victoire, disaient les amis d’Annibal, il fallait profiter de la fortune, et poursuivre les fuyards, pour entrer avec eux dans Rome : dans cinq jours, selon eux, Annibal souperait au Capitole. Il rejeta leurs conseils ; et il n’est pas facile d’expliquer les motifs qui l’arrêtèrent, à moins d’attribuer à quelque génie, à un dieu qui se mit au-devant de lui, ses lenteurs et son irrésolution timide. Aussi le Carthaginois Barca[2] lui dit-il avec colère : « Tu sais vaincre, Annibal ; mais tu ne sais pas profiter de la victoire[3]. »

Cependant cette victoire apporta un grand changement dans ses affaires. Jusqu’alors, il n’avait pas une ville, pas un magasin, pas un port, dans toute l’Italie ; il ne procurait à ses troupes les choses nécessaires qu’à la pointe de l’épée, par des pillages continuels, et en quantité à peine suffisante ; il n’avait pas un seul point sur lequel il put appuyer ses opérations militaires, et il ne faisait qu’errer çà et là, comme en camp volant, et semblable au chef d’une nombreuse troupe de bandits. Après cette journée, au contraire, il vit presque toute l’Italie se soumettre. Les peuples les plus considérables

  1. Le vainqueur de Persée était fils de ce Paul Émile.
  2. D’autres le nomment Maharbal : c’était peut-être son surnom.
  3. Il est probable qu’Annibal eût marché sur Rome, s’il avait cru possible de s’en emparer ; et quelques-uns estiment que sa conduite ne fut que sage et prudente.