Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/485

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troupes et celles des alliés, perdît un temps précieux à attendre que le sort lui choisît des juges, et qu’on mesurât l’eau pour son procès[1]. « Qu’il parte donc, ajoutaient-ils, et que la Fortune seconde ses efforts ; puis, quand la guerre sera terminée, qu’il comparaisse, pour se purger des charges qui pèsent sur lui. » Alcibiade ne se méprit pas sur le but perfide de cette remise. Il monta à la tribune, pour représenter au peuple qu’il serait trop injuste de le faire partir à la tête de forces si considérables, lorsqu’il laissait derrière lui des accusations calomnieuses, qui le tiendraient dans une agitation continuelle. « Si je ne puis me justifier, disait-il, je mérite la mort ; mais, si je me justifie, et si je fais éclater mon innocence, il faut que je marche contre l’ennemi sans avoir rien à craindre des calomniateurs. » Ses réclamations ne furent point écoutées ; et on le contraignit de partir.

Ils mirent donc à la voile, lui et les autres généraux, avec une flotte d’environ cent quarante trirèmes, que montaient cinq mille cent hoplites, et près de treize cents, tant archers que frondeurs ou soldats légèrement armés, et qu’on avait pourvues, au reste, de toutes les provisions nécessaires[2]. Lorsqu’on eut abordé en Italie, et pris terre à Rhégium, Alcibiade proposa son plan de campagne, qui fut combattu par Nicias, et approuvé par Lamachus. Il mit donc à la voile pour la Sicile, et il se rendit maître de Catane. Ce fut là son unique exploit dans l’expédition ; car il fut aussitôt rappelé par les Athéniens, pour subir son jugement. On n’avait d’abord contre lui que de légers soupçons, comme nous l’avons dit, et que de vagues dépositions d’esclaves et d’étrangers. Mais, en son absence, ses ennemis suivirent l’affaire avec plus de chaleur : à la mutilation des

  1. On se servait de clepsydres, ou horloges d’eau, pour mesurer à l’accusateur et au défenseur de l’accusé le temps pendant lequel il leur serait permis de parler.
  2. Le récit du départ de cette flotte est une des plus belles pages de Thucydide,