Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/512

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

terre et de la mer, n’osa plus rester : il se transporta en Bithynie[1], emmenant avec lui de grands trésors, et en laissant de plus considérables encore dans ses forteresses. Dépouillé par les Thraces de Bithynie d’une grande partie de sa fortune, il résolut d’aller trouver Artaxerxès, persuadé que le roi le jugerait bientôt, à l’essai, homme de ressources non moins que Thémistocle, et recommandé d’ailleurs d’un motif plus honnête : il n’allait pas, comme Thémistocle, offrir son bras au roi contre ses concitoyens, mais lui demander de secourir sa patrie contre les ennemis. Il pensa que Pharnabaze lui donnerait les moyens de se rendre sans encombre auprès d’Ataxerxès : il alla donc le joindre en Phrygie, lui fit assidûment sa cour, et en fut bien traité.

Les Athéniens supportaient avec peine la perte de leur domination ; mais ce fut bien autre chose quand Lysandre leur eût ôté la liberté, en livrant la ville à trente tyrans. Les réflexions qu’ils n’avaient pas faites pendant qu’ils étaient encore en état de se sauver leur vinrent à l’esprit lorsqu’ils virent leurs affaires perdues sans ressource. Ils déploraient leurs malheurs ; ils se rappelaient leurs fautes et leurs imprudences. L’erreur la plus funeste avait été, pensaient-ils, leur second emportement contre Alcibiade : ils l’avaient chassé sans qu’il leur eût fait aucun tort ; et, pour punir un pilote qui avait perdu honteusement quelques navires, ils avaient eux-mêmes, action bien plus honteuse ! privé la ville du plus brave et du plus capable des généraux. Cependant, malgré ce qu’avait d’affreux la situation présente, ils conservaient un rayon d’espérance : Alcibiade sain et sauf, ils ne croyaient pas tout perdu pour Athènes. En effet, lui qui n’avait pu, durant son premier exil, se résoudre à vivre dans l’inaction, il devait encore moins alors, pour peu

  1. De l’autre côté de l’Hellespont.