Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/531

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les citoyens, par respect pour sa vertu, s’étaient donné parole, d’un commun accord, de le nommer consul. Le jour de l’élection, Marcius se rendit sur la place dans un appareil magnifique, accompagné du sénat ; et les patriciens qui l’environnaient montraient assez que jamais candidature n’avait été à ce point l’objet de leur prédilection. Cette faveur des nobles fit passer derechef la multitude, de la bienveillance à la haine et à l’envie. Et à ce sentiment vint se joindre la crainte qu’armé une fois de la puissance souveraine, cet homme, tout dévoué au parti aristocratique, et qui jouissait de tant de crédit auprès des patriciens, ne ravît au peuple sa liberté. D’après ces réflexions, Marcius fut écarté ; et l’on élut d’autres consuls.

Cette déconvenue affligea vivement le sénat, qui y vit un affront fait à lui-même, plus encore qu’à Marcius. Pour Marcius, il ne supporta point tranquillement l’injure ; et il ne sut point se résigner, accoutumé qu’il était à céder aux mouvements de cette partie de l’âme qui est le siège de la colère et de l’opiniâtreté. Il prenait ce défaut pour noblesse de cœur et hauteur de pensée. Il n’avait pas cet heureux mélange de gravité de douceur, de raison et d’instruction, qui constitue la meilleure part de la vertu politique. Il ignorait que celui qui gouverne, et qui traite avec des hommes, dût fuir, entre toutes choses, l’opiniâtreté, cette compagne de la solitude, comme s’exprimait Platon[1], et qu’il dût surtout pratiquer la patience des injures, malgré le ridicule qu’y attachent certaines gens. Doué d’un caractère franc et ouvert, mais dur et inflexible, il croyait que la force consiste uniquement à avoir le dessus en tout ; tandis que c’est faiblesse et lâcheté de laisser pousser la colère, comme une tumeur, du fond de la partie malade et souffrante de notre âme. Marcius ren-

  1. C’est dans une lettre, adressée à Dion, que Platon s’exprime ainsi.