Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/169

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occupa la tour sans qu’ils s’en aperçussent, et même il garnit de gens en armes la muraille, tout alentour, avant que le jour eût paru, et enfonça les portes des Hexapyles. Au moment où les Syracusains commençaient à s’apercevoir de ce qui se passait, à se troubler et à se mettre en mouvement, les trompettes sonnèrent de tous les côtés à la fois, et l’épouvante fut si grande qu’ils se mirent à fuir çà et là persuadés que l’ennemi était maître de toutes les positions. Il en restait cependant une encore, la plus forte, la plus belle et la plus grande : c’était l’Achradine[1], bien plus fortifiée que la ville extérieure, qui était divisée en deux parties appelées l’une Néapolis, l’autre Tyché.

Maître aussi de ces positions, au point du jour Marcellus descendit par les Hexapyles, entouré de ses officiers qui le félicitaient. Pour lui, on dit qu’en regardant de ce point élevé, et en considérant la grandeur et la beauté de la ville, il versa des larmes et s’affligea de ce qui allait arriver ; car il se représentait ce qu’elle était, et combien elle aurait dans un moment changé de forme et d’aspect, emportée pièce à pièce par son armée. Les soldats demandaient à s’enrichir par le pillage, et pas un officier n’osait s’y opposer : plusieurs même voulaient qu’elle fût brûlée et rasée. Mais c’est une proposition dont Marcellus ne voulut nullement entendre parler ; et ce n’est que bien malgré lui qu’on lui arracha la permission de s’emparer des trésors et des esclaves ; il défendit expressément de toucher aux personnes libres, de tuer, de déshonorer, de réduire en esclavage aucun des Syracusains. Malgré cette modération, il lui semblait encore que le sort de cette ville était digne de pitié ; et, au milieu de la joie vive qu’il éprouvait, il laissait voir la compassion et la douleur qu’il ressentait à la pensée que

  1. Voyez la Vie de Timoléon dans ce volume.