Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/416

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retranchements, ils perdirent quelques hommes, et alors ils résolurent de se porter en avant du côté des Alpes, qu’ils croyaient franchir sans danger. Ils plient donc bagage, et se mettent à défiler le long du camp des Romains. C’est alors surtout que leur nombre parut dans toute son immensité, à la longueur du temps que dura leur passage ; car, pendant six jours, dit-on, ils défilèrent sans interruption devant les retranchements de Marius. Et ils s’avançaient tout près, demandant aux Romains, par moquerie, s’ils avaient quelques commissions pour leurs femmes, parce qu’ils allaient être dans peu auprès d’elles. Lorsqu’ils eurent achevé de défiler, et pris le devant, Marius décampa aussi, et se mit à les suivre pas à pas, en ayant soin de camper toujours à côté d’eux, dans de bons retranchements et dans des positions fortes, afin de passer les nuits sans danger. Les deux armées marchèrent ainsi jusqu’à ce qu’elles arrivassent au lieu appelé les Eaux-Sextiennes[1]. De là ils n’avaient plus guère à marcher pour entrer dans les Alpes ; c’est pourquoi Marius se disposa à leur livrer bataille. Il prit pour camper une position forte, il est vrai, mais où l’on devait manquer d’eau, et à dessein, dit-on, d’animer par là le courage de ses troupes. En effet, plusieurs se plaignant et disant qu’on mourrait de soif, il leur montra du doigt une rivière qui coulait près du camp des Barbares : « C’est là, dit-il, qu’il faut aller acheter à boire au prix de votre sang. — Pourquoi donc, répliquèrent-ils, ne nous conduis-tu pas sur-le-champ contre eux, tandis que notre sang coule encore dans nos veines ? » Mais lui avec douceur : « Auparavant, dit-il, nous avons à fortifier notre camp. »

  1. Aquœ Sextiœ, c’est Aix en Provence, ville bâtie 133 ans avant J.-C. par le proconsul Sextius, en mémoire de la défaite des Gaulois Salviens qu’il avait vaincus dans plusieurs batailles.