Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/432

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par la violence, malgré lui, et non par persuasion. Tels n’étaient point ses sentiments, mais il parlait ainsi pour faire tomber Métellus dans un piège inévitable. Il faisait du mensonge habile un mérite et une science ; il devait donc ne tenir aucun compte de sa déclaration devant le Sénat. Connaissant au contraire Métellus pour un homme ferme, et qui faisait de la vérité la base d’une grande vertu, comme parle Pindare, son intention était de l’engager d’avance par un refus dans le Sénat, afin qu’en ne prêtant pas le serment il devînt pour le peuple l’objet d’une haine implacable. C’est ce qui arriva : Métellus déclara qu’il ne prêterait point le serment, et le Sénat leva la séance.

Quelques jours après, Saturninus appela les sénateurs à la tribune, et exigea d’eux le serment : Marius s’avança, au milieu d’un grand silence et d’une attente générale, et dit, au mépris des belles paroles qu’il avait prononcées dans le Sénat du bout des lèvres, qu’il n’avait pas le cou assez large[1] pour avoir pu décider à l’avance et sans appel une affaire d’une si haute importance, et qu’il s’engageait par serment à l’observation de la loi, « s’il y a loi, » dit-il : restriction qu’il ajouta adroitement comme un voile pour couvrir sa honte. Il jura, et le peuple charmé applaudit du geste et de la voix. Mais le changement de Marius remplit les gens de bien d’indignation et de douleur ; par crainte du peuple tous jurèrent, jusqu’à ce que vînt le tour de Métellus. Pour lui, ses amis eurent beau le presser, le conjurer de prêter le serment, de ne pas s’exposer aux peines énormes que Saturninus prononçait contre ceux qui refuseraient ; il ne fléchit point, ne jura point, mais il conserva son ca-

  1. Expression proverbiale pour désigner l’orgueil et la présomption. Dacier cite à ce propos le mot de Job parlant du superbe : Pingui cervice armatus est. XV, 26.