Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/470

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la clameur des ennemis et le battement des rames. Au moment où ils allaient fondre sur leur proie, Conon se déroba avec huit vaisseaux, et se retira dans l’île de Cypre, auprès d’Évagoras. Les Péloponnésiens tombent sur les autres navires, enlèvent ceux qui sont vides, et brisent de leur choc ceux qui commençaient à se remplir. Les soldats qui accouraient au secours, débandés et sans armes, sont tués près des vaisseaux ; ceux qui s’enfuyaient dans les terres sont massacrés par les ennemis qui descendent du promontoire. Lysandre fit trois mille prisonniers, au nombre desquels étaient les généraux. Il s’empara de toute la flotte, excepté le vaisseau Paralus[1], et les huit qui s’étaient échappés avec Conon.

Lysandre ayant remorqué les trirèmes captives et pillé le camp des Athéniens, cingla vers Lampsaque au son des flûtes et aux chants de victoire. Il venait d’accomplir, presque sans aucune peine, un des plus grands exploits, et de terminer, dans l’espace d’une heure, une guerre interminable[2], féconde en événements, signalée, entre toutes les guerres qu’on avait vues jusque-là, par les coups les plus extraordinaires de la Fortune : cette guerre qui avait présenté les formes les plus variées, les plus étonnantes vicissitudes, dans la longue succession de ses batailles et de ses événements ; qui avait dépensé plus de généraux que toutes les guerres intérieures de la Grèce, la prudence et l’habileté d’un seul homme l’avait achevée en un instant. Aussi ne manqua-t-il pas de gens qui regardèrent ce succès comme l’ouvrage d’un dieu.

Quelques-uns disaient qu’au moment où la flotte lacédémonienne sortit du port pour aller contre l’ennemi, on avait vu briller, aux deux côtés du gouvernail du vais-

  1. C’était un des vaisseaux sacrés, qui ne servaient que dans les grandes occasions.
  2. La guerre du Péloponnèse : elle durait depuis vingt-sept ans.