Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/86

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le peuple se répandait en clameurs inutiles, les principaux sénateurs ne se contentent pas de crier : À l’indignité ! ils s’excitent mutuellement à réprimer chez les soldats une licence et une audace qui se porteraient à toute sorte d’actes injustes et violents, si rien n’entravait leur entreprise, et s’ils enlevaient à Paul Émile le triomphe, prix de ses victoires. Ils fendent la presse, montent en troupe au Capitole, et demandent aux tribuns de suspendre les suffrages jusqu’à ce qu’ils aient fait leurs représentations à la multitude.

Le sursis est accordé, le silence s’établit ; et Marcus Servilius, homme consulaire, qui, provoqué à vingt-trois combats singuliers, avait tué tous ses ennemis, s’avance au milieu de l’assemblée : « Je connais aujourd’hui mieux que jamais, dit-il, les talents militaires de Paul Émile, quand je vois avec quelle armée, regorgeant d’insubordination et de vices, il a pu accomplir de si grandes et glorieuses entreprises. J’admire que le peuple, qu’enorgueillissent ses triomphes sur les nations de l’Illyrie et de l’Afrique, s’envie à lui-même la satisfaction de voir le roi de Macédoine, toute la gloire d’Alexandre et de Philippe, traînés captifs des armes romaines. Étrange inconséquence ! dit-il encore ; vous avez sacrifié aux dieux sur le premier bruit d’une victoire incertaine répandu dans la ville ; vous les avez priés de mettre promptement sous vos yeux la réalité qu’annonçait la nouvelle ; et quand votre général vous apporte avec lui la victoire bien avérée, vous ravissez aux dieux l’honneur qui leur est dû, et à vous-mêmes votre joie. Est-ce donc que vous craignez de contempler la grandeur de vos succès, ou voulez-vous ménager le roi ? Encore vaudrait-il mieux que le refus du triomphe vînt de votre pitié pour lui, que de votre envie contre le général. Mais tel est l’excès de licence où votre faiblesse a laissé monter l’envie des méchants, qu’un homme