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NICIAS.

puya son élévation. Cléon était fort puissant, il est vrai, parce qu’il traitait le peuple comme on fait un vieillard[1], et le payait pour qu’il se laissât conduire. Mais, en voyant son insatiabilité, son effronterie, son impudence, la plupart de ceux même qu’il voulait séduire par cette conduite s’attachaient à Nicias. La gravité de celui-ci n’avait rien d’austère, ni de trop roide ou d’odieux, mais elle était tempérée par une certaine circonspection ; et par cela même qu’il semblait craindre le peuple, le peuple se laissait conduire par lui. Naturellement timide et défiant, son bonheur dans la guerre jetait un voile sur cette faiblesse ; car son commandement ne fut qu’une suite non interrompue de succès[2]. Dans les discussions politiques, le moindre bruit l’alarmait, la présence des calomniateurs suffisait pour le troubler. Et c’était là pour lui un mérite aux yeux du peuple, qui le payait en bienveillance, et auprès duquel il était en grand crédit : le peuple craint ceux qui le dédaignent, et favorise l’agrandissement de ceux qui le craignent ; car la multitude regarde comme un extrême honneur de n’être pas méprisée par les grands.

Périclès, qui gouvernait Athènes par l’ascendant d’une vertu véritable, et par la force de l’éloquence, n’avait besoin d’employer avec le peuple ni déguisement ni artifices. Nicias, inférieur par le talent, mais supérieur du côté de la fortune, se servait de ses richesses pour conduire le peuple. Cléon maniait à son gré les Athéniens, grâce à la souplesse de ses manières et à la bouffonnerie qu’il étalait pour leur plaire ; quant à lui, incapable d’opposer à ce rival de pareils moyens, il briguait les charges de chorége, de gymnasiarque, et autres de même na-

  1. C’est-à-dire au moyen de complaisances excessives et de flatteries.
  2. Bien entendu, jusqu’à l’expédition de Sicile.