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NICIAS.

avec son chœur, ses victimes et tout son appareil. Il avait fait faire à Athènes, sur la mesure du canal étroit qui séparait les deux îles, un pont richement orné de dorures, de peintures, de couronnes, de tapisseries. Pendant la nuit il le jeta, et joignit ainsi Rhénia et Délos ; et, au lever du jour, il traversa le pont, et descendit dans l’île à la tête de sa procession, suivi d’un chœur magnifiquement paré, et qui marchait en chantant les hymnes en l’honneur du dieu. Après le sacrifice, les jeux et les banquets, il dressa un palmier d’airain comme offrande au dieu ; puis il acheta pour dix mille drachmes[1] et consacra un champ, dont les Déliens devaient employer les revenus à offrir des sacrifices et à célébrer des banquets sacrés, en priant les dieux de combler de biens Nicias : condition qu’il fit graver sur une colonne, qui demeura à Délos comme monument de cette donation. Quant au palmier, il a été brisé par le vent, et, dans sa chute, il a renversé la grande statue[2] offerte par les habitants de Naxos.

Qu’en cela il y ait une grande part pour l’amour-propre, l’ambition de faire mieux qu’un autre, le désir de la popularité, on n’en peut douter. Cependant toute la conduite de Nicias, toute sa manière d’être porte à croire que ses soins pour plaire au peuple et le gagner n’étaient que la suite d’une piété réelle. Il avait pour les dieux une crainte profonde, et il était, suivant l’expression de Thucydide « fort adonné à la superstition[3]. » On lit, dans un des dialogues de Pasiphon[4], qu’il offrait des sacrifices tous les jours, qu’il avait un devin at-

  1.  Environ neuf mille francs de notre monnaie.
  2. On sait, par d’autres auteurs, que c’était une statue d’Apollon.
  3. Θειασμῷ προσκείμενος, c’est le mot même de Thucydide.
  4. Philosophe socratique né à Erétrie, connu surtout pour avoir mis quelques-unes de ses productions sous les noms d’Eschine et d’Antisthène, qui avaient été comme lui disciples de Socrate.