Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/190

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une fort grande réputation de prudence et de sagesse dans les conseils. C’est par ces qualités surtout qu’il détruisit Crassus, lequel, par sa confiance téméraire et son orgueil d’abord, et ensuite par le découragement où le jetèrent ses revers, donna tant de prise aux pièges que lui tendit Suréna.

Donc le Barbare, l’ayant persuadé, l’entraîna loin du fleuve, et le conduisit, à travers les plaines, par une route d’abord douce et aisée, mais qui devint ensuite fort fatigante. On arriva dans un sable profond, dans des plaines sans arbres, sans eau, et où l’œil n’apercevait aucune borne qui fit espérer quelque repos. Non-seulement la soif et la difficulté de la marche faisaient perdre courage aux soldats, mais ils éprouvaient un abattement inconsolable à l’aspect de ces lieux, où l’on ne voyait nulle part, ni une plante, ni un filet d’eau, ni une colline, ni un germe de verdure : ce n’était partout qu’une mer immense de sables déserts qui environnait l’armée. Cela fit déjà soupçonner une trahison.

Sur ces entrefaites, arrivèrent de la part d’Artavasdès l’Arménien des courriers qui dirent à Crassus que, retenu lui-même par une grande guerre contre Hyrodès, qui était venu fondre sur lui, il ne pouvait pas lui envoyer de secours. Il engageait Crassus à tourner de son côté, à se joindre aux Arméniens pour lutter ensemble contre Hyrodès ; ou, sinon, à toujours éviter dans ses marches et dans ses campements les lieux propres à la cavalerie, à toujours suivre les pays montagneux. Crassus, par une colère stupide, ne renvoya point de lettre au prince, et répondit de vive voix qu’il n’avait pas alors le temps de penser aux Arméniens, mais qu’il reviendrait, et qu’il se vengerait de la trahison d’Artavasdès. Alors Cassius fut saisi d’une nouvelle indignation : il avait cessé de présenter à Crassus ses avis, qui lui étaient importuns ; mais, prenant à part le Barbare, il l’accablait de reproches :