Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 3.djvu/214

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le fait d’une noble ambition, de craindre que Pompée, en arrivant, ne lui enlevât la gloire de cette expédition, comme Mummius avait enlevé à Métellus l’honneur de prendre Corinthe. Mais la conduite de Nicias est tout à fait déraisonnable, indigne ce qu’il cède à un rival, ce n’est pas un honneur, un commandement environné de belles espérances, de succès faciles ; non, il voyait dans cette expédition de grands dangers, et il préfère la sûreté de sa personne à l’intérêt public. Or, au temps des guerres contre les Perses, Thémistocle, pour empêcher qu’un homme sans mérite, sans raison, ne perdît la ville en se trouvant à la tête des troupes, l’éloigna du commandement à prix d’or. Et Caton ne brigua le tribunat que parce qu’il voyait Rome dans une situation embarrassante et pleine de périls. Nicias, au contraire, se réservait pour commander des expéditions contre Minoa, Cythère et les malheureux Méliens[1] ; mais fallait-il combattre les Lacédémoniens, alors il se dépouillait de la chlamyde, et il livrait à l’incapacité, à la fougue d’un Cléon, des vaisseaux, des armes, des hommes, un commandement militaire qui exigeait la dernière habileté : c’était trahir non point sa propre gloire, mais la sûreté et le salut de sa patrie.

Et voilà pourquoi dans la suite, malgré lui, en dépit de ses désirs, on le mit dans la nécessité d’aller faire la guerre contre les Syracusains : on croyait ses refus dictés non point par une raison d’utilité publique, mais par sa mollesse et son indolence ; c’était là uniquement, pensait-on, ce qui le portait à priver les Athéniens de la conquête de la Sicile. Ce qui prouve cependant en lui une grande capacité, c’est que, quoiqu’il fût toujours opposé à la guerre, et qu’il refusât constamment le com-

  1. On a vu, dans la Vie d’Alcibiade, que tous les jeunes gens de l’île de Mélos avaient été massacrés par les Athéniens.